Le contrepoint d'Isaac : chronique d'une impossibilité amoureuse (acte V-5)
Acte 5 scène 5 : Isaac ou l’art de ne pas savoir rompre (Isaac et ses deux amours : vaine hypothèse polyamoureuse)
» Très chère,
je suis ravi que tu aies bien reçu mon message et que tu m'aies répondu. Et quelle réponse... Une fois encore, je suis subjugué par ton lyrisme quand il s'agit d'amour. […] Et comment ne pas me sentir à la fois coupable et lâche de n'avoir pas su être à la hauteur d'un tel témoignage d'amour. Et je suis partagé entre mélancolie et bonheur à la lecture d'un tel déchaînement de passion.
Mais tu reconnaîtras que c'est aussi intimidant voire angoissant. Car tu as l'amour exigeant, entier, exclusif. C'est ce qui fait que je t'aime mais tu mets la barre très haut, très très haut. J'ai très vite compris qu'une telle capacité d'aimer et à donner de l'amour ne supportait pas la médiocrité en retour. Tu n'as jamais pu te résoudre à accepter la tiédeur de mon engagement, quand bien même j'avais l'impression de donner tout ce que je pouvais. Certes tu l'as supportée mais au prix de très grandes souffrances.
Et aujourd'hui encore, comment répondre à un tel message sans avoir l'impression d'être insipide ?
Je peux en revanche te répondre sur les raisons de mon attitude changeante et ambivalente que tu me reproches d'avoir eu trop souvent avec toi. J'ai effectivement passé mon temps à souffler le chaud et le froid, mais pas par malice. La première raison est simple ; c'est la conséquence de l'une de mes rares qualités sentimentales, chevillée au corps. Je suis très fidèle en amour (et en amitié) et d'une infinie loyauté pour les personnes que j'aime. […] Mais cette fidélité en amour expliquait aussi que je n'ai jamais pu me résoudre à abandonner Victoria. Mais moi aussi, quoique tu en penses, je ne sais pas aimer à moitié. J'ai cependant acquis la conviction que l'amour n'est pas un jeu à somme nulle. Aimer deux femmes, ne signifie nullement que l'amour que je porte pour l'une réduit celui que je porte à l'autre. C'est ainsi.
La réalité c'est que j'héberge deux personnalités bien distinctes : l'une passionnelle et aventureuse, l'autre rationnelle et en quête de sécurité affective et matérielle. Jusqu'à présent, j'avais réussi à maintenir un parfait équilibre entre ces deux facettes de ma personnalité. Mon cerveau rationnel guidait ma vie matérielle et me poussait vers la sécurité tandis que mon cerveau passionnel s'exprimait à l'occasion de mon expression artistique et militante en m'offrant de régulières bouffées orgasmiques sublimées. La vie était simple tant que l'équilibre était maintenu entre ces deux versants de ma personnalité. Et Victoria était la clé de voûte de cet équilibre. Ma crise de la quarantaine a malheureusement transformé cet équilibre en un profond conflit intérieur. Les 9 mois passés à tes côtés n'ont fait que souligner cette opposition frontale entre ces deux facettes de ma personnalité qui étaient latentes. Redécouvrir la sexualité, l'amour passionnel à tes côtés m'a totalement ébranlé. J'ai redécouvert la dimension jouissante de mon être que j'avais trop longtemps inhibée et que, désormais, je ne veux plus sacrifier. Et je ne peux que te remercier de m'avoir dessillé. […] Tu m'as simplement ouvert les yeux et montré une facette de l'amour à laquelle j'ai toujours pensé que je ne pouvais pas prétendre. Toutefois mon cerveau rationnel me rattrape toujours au vol et m'enjoint d'agir avec raison et de ne pas me mettre en danger. Il me rappelle entre autres que l'amour passe par d'autres dimensions beaucoup plus prosaïques voire matérielles. C'est plus froid, mais ce n'est pas moins important. Car c'est comme cela que j'avance, que j'ai la force d'écrire des livres, de la musique, de donner des cours, de monter sur scène... D'être moi. Et pour ce faire, j'ai besoin d'être sécurisé.
Ainsi, démarrait mon ultime tentative de sauver mon amour pour mademoiselle B. Un long texte dans lequel je tentais de trouver les mots justes, sous forme de justification à mes errements et à mes revirements cruels. J’étais sincère, terriblement sincère. Je voulais tant que mademoiselle B. parvienne à saisir mon désarroi.
Pour ce faire, je devais furieusement me (la, nous) confronter à l’hypothèse polyamoureuse. La question de départ était simple : était-il possible d’aimer sincèrement deux femmes ? Ce à quoi je répondais par l’affirmative. Cependant, une fois résolue cette première question, il nous fallait désormais résoudre la contradiction intrinsèque à l’hypothèse polyamoureuse : est-il possible de partager son amour sans souffrir ou faire souffrir ? Je tentais en toute sincérité de m’accrocher à l’idéal d’une vie amoureuse partagée, ne serait-ce que pour être sûr de devoir en écarter l’hypothèse.
Le film de Robert Guédiguian Marie-Jo et ses deux amours illustre parfaitement cette aporie (Pour la petite histoire, je l’ai découvert bien longtemps après avoir posté mon texte à mademoiselle B. et je resterai sans voix face à une évocation fictionnelle faisant aussi directement écho à ma propre vie. Tout y est dit). Marie-Jo aime deux hommes, sincèrement, intensément. Elle ne peut envisager sa vie sans la présence des deux amours de sa vie : son mari et son amant. Elle aime avec la même intensité, différemment mais sans hiérarchie. Elle rêverait en retour que les deux hommes de sa vie acceptent de partager leur amour pour Marie-Jo. Les hommes de sa vie apprendraient à se connaître, à s’apprécier et à devenir amis. Vaine illusion. Les hommes de sa vie ne peuvent accepter cette hypothèse, malgré tout l’amour et la bienveillance qu’ils lui portent. Ils lui rappellent l’amour suppose un choix, une exclusivité, une norme sociale monogame. Ils souhaiteraient parvenir à accepter cette vie amoureuse partagée mais ils ne peuvent pas. C’est pus fort qu’eux.
L’idéal polyamoureux de Marie-Jo va dès lors s’abîmer sur le récif de la réalité des relations humaines et sentimentales. Marie-Jo devient peu à peu prisonnière de son idéal et son amour va se transformer en terrible torture mentale. Elle souffre de l’absence de ses hommes mais souffrira encore plus de devoir faire un choix en faveur de l’un d’entre eux. Vivre avec l’un sans la présence de l’autre n’a pas de sens : elle cesse de vivre. Son amour devient une geôle. Seule une fin tragique permettra de libérer Marie-Jo de sa prison amoureuse.
» Te dire cela c'est simplement pour t'expliquer un peu mieux par ce que j'appelle ma schizophrénie actuelle. Improprement, car la schizophrénie est une grave maladie mentale et je pense être encore sain d'esprit. Névrosé sûrement mais sain d'esprit malgré tout. Tu comprendras cependant la torture mentale qui est la mienne depuis des mois en tentant de ménager mon envie profonde de vivre intensément la passion amoureuse à tes côtés, faite de surprises, de sensations explosives et d'explorations extatiques avec mon souhait très rationnel de préserver ma très belle construction de couple avec Victoria faite d'imaginaire commun et de complicité incomparables. C'est cela que je n'arrive plus à gérer car j'ai besoin des deux. Je ne sais pas vivre sans les deux.
Un peu trop emphatique et affirmatif pour être totalement sincère, je le concède. Mais devais-je cependant rejeter ex abrupto toute perspective de vie amoureuse partagée ? Devais-je au surplus condamner moralement une telle perspective ? Certainement pas.
Je ne pense pas qu’aimer sincèrement plusieurs personnes (hommes ou femmes) soit plus condamnable que de vivre avec une seule sans amour. Je ne crois pas davantage que la sexualité supposerait nécessairement qu’elle n’ait à s’exprimer que dans l’exclusivité du couple. Je rejette par principe cette prescription morale héritée de la vision cléricale et traditionnelle du couple monogame au sein duquel la sexualité n’aurait qu’une fonction de maîtrise sociale de la filiation. Dans cette vision traditionnelle du couple, le sexe est nié comme dimension ontologique du plaisir. La condamnation de la fornication, commune à toutes les religions monothéistes n’est rien d’autre qu’une injonction sociale au déplaisir afin de réduire la sexualité à dimension strictement reproductive. Baisez sans plaisir avec votre conjoint et surtout faites des mioches ! qu’ils disent. On ne chasse pas sans mal des milliers d’années de domination religieuse et de nos jours encore, ce modèle de sexualité dans et par le couple est devenu la norme, l’égrégore matrimonial de notre société, au même titre qu’avoir des enfants. Ne pourrait-on pas à l’inverse envisager l’incroyable potentiel hédoniste de l’existence dans laquelle la sexualité occuperait une position centrale comme mode de communion entre deux corps voire de pacification des relations humaines. Vivre c’est avant tout cultiver son plaisir de vivre. Faites l’amour pas la guerre disait-on au lendemain de mai 68.
Bref, devais-je me reprocher d’avoir éprouvé un plaisir infini dans ma sexualité avec mademoiselle B, au point de ne pas me résoudre à y renoncer ? Devais-je me sentir coupable d’avoir trouvé dans la sexualité avec celle-ci une nouvelle dimension de ma personne, jouisseuse. Et d’avoir aimé sa générosité, sa décomplexion, voire sa hardiesse dans l’amour. Devais-je réprimer mon attirance pour son petit corps parfaitement ajusté au mien dont les manifestations de plaisir donnaient l’envie de ce plaisir.
A l’inverse, je n’adhère nullement à l’idée qu’il ne puisse y avoir d’amour sans sexualité. L’amour est un sentiment puissant aux frontières infinies. Aimer quelqu’un signifie de partager des projets, des rêves, un imaginaire, d’éprouver chaque jour une complicité et une solidarité indéfectibles. On ne peut décemment prétendre aimer quelqu’un que lorsque l’on aime ses qualités mais aussi, et peut-être surtout, ses défauts. Envisager l’Autre comme une entité complexe et totale, incluant son histoire familiale, ses angoisses, ses rêves, sa vision du monde. Et accepter que l’Autre modifie la trajectoire de notre propre vie. Bref, devais-je me reprocher d’aimer Victoria comme jamais je n’ai aimé une femme auparavant car j’aime ses défauts, son intelligence, son originalité, sa créativité, son altruisme. Devais-je renier tout ce qu’elle m’avait apporté depuis ces 12 ou 13 ans de vie commune, autrement dit une constance affective, un soutien indéfectible, un rapport à la vie et une vision du monde à l’unisson qui participent grandement de mon équilibre personnel ? Devais-je renoncer à cette dimension de ma vie amoureuse sous prétexte que le désir sexuel s’était étiolé ?
Cela faisait des mois que je me posais cette question. La nouveauté résidait dans cette question : et si, j’avais besoin des deux facettes de l’amour ? Celui de mademoiselle B. et celui de Victoria. La fulgurance sensorielle et la constance affective. Sans oublier sa beauté fascinante et immarcescible devant lequel je fonds comme au premier jour. Un visage d’ange de princesse des steppes magnifié par les formes sculpturales de son corps.
Mais dans quelle mesure me serait-il possible d’imposer cette situation d’amour partagé à deux femmes ? A première vue, cela semblait illusoire. Poser la question c’était déjà y répondre.
Mais admettons… Admettons que ce soit possible par le plus grand des hasards. Admettons qu’un autre choix soit envisageable.
» La réalité crue et cruelle est que je ne sais pas vivre sans vous deux, sans ces deux dimensions de l'amour que vous m'apportez l'une et l'autre. Être le koala de l'une et le singe de l'autre. Manger à tous les râteliers, être un affreux polyamoureux […], refuser de choisir, refuser de choisir au risque de tout perdre, comme tu veux. Dans le monde imaginaire idéal d’Isaac, nous formerions un trouple formidable et complémentaire. Victoria et toi auriez appris à vous connaître, à vous apprécier voire à nouer une véritable sororité qui vous permettrait de me remettre à ma place quand je deviens envahissant et égocentrique, arrogant et fier. Ce que je suis comme tu l'as fait remarquer. Et moi, je trouverais un équilibre formidable dans cet univers dominé par les femmes de ma vie que j'aimerais différemment mais de tout mon cœur. Car je suis terriblement dépendant des femmes que j'aime. […]
En réalité, j’ouvrais une porte que je m’apprêtais à refermer presque aussi vite. J’endossais (sans le savoir) les habits de Marie-Jo mais contrairement à elle, je tentais d’anticiper l’issue tragique d’une vaine hypothèse polyamoureuse.
» Mais ce monde imaginaire idéal d’Isaac n'est qu'un fantasme, une dystopie biographique. Du moins pour les principales intéressées que sont Victoria et mademoiselle B. Dans la vraie vie, l'amour se vit dans l'exclusivité conjugale et il faut choisir. Aimer l'une ou aimer l'autre. L'amour ne se partage pas. Cruel destin.
En réalité, en décidant de mettre fin à notre relation j'ai choisi de sauver les meubles pour ne pas devenir cinglé. J'ai renoncé à une relation passionnelle avec toi qui m'emplissait de joie mais qui me torturait car je ne supportais plus de faire te faire souffrir davantage en raison de mon indécision. Toi mademoiselle B, l'autre femme que j'aime. Je ne voulais pas t'infliger une relation insatisfaisante et déséquilibrée, donner le sentiment de profiter de la situation, t'empêcher de te projeter alors que tu as 33 ans et encore le temps d'avoir les enfants que tu souhaites. Je souffrais de ne pouvoir répondre à tes attentes, à ton besoin d'exclusivité, de devoir t'imposer la figure imposante de Victoria que tu as fini par détester. Te voir souffrir, angoisser de la fin de notre relation, ne pas savoir quoi répondre à tes preuves d'amour étourdissantes. J'ai tenté plusieurs fois mais je n'y suis pas parvenu.
J’écartais donc l’hypothèse polyamoureuse. A l’aide d’une métaphore immobilière assez douteuse :
» J'ai fait le choix en apparence de privilégier la sécurité de ma relation avec Victoria et nos 13 ans de vie commune, faits de complicité et de totale compréhension mutuelle mais dépassionnée et désérotisée. Victoria et moi, c'est une maison imposante avec des pierres de taille dont la façade suscite l'admiration de ceux qui la contemplent. Certes l'intérieur est austère et il y a des courants d'air mais elle est spacieuse et belle. Toi et moi c'était la bicoque de mes rêves, un peu foutraque, pas très spacieuse mais incroyablement chaleureuse et lumineuse. Un cocon douillet mais encore en construction. Puisqu'il fallait choisir j'ai choisi la maison déjà construite.
Toutefois, j’amorçais un dernier mouvement en direction de mademoiselle B. L’ultime preuve de mon amour sincère. Une preuve de courage sous forme de révélation (tadam !) :
» Dimanche soir dernier j'ai tout avoué à Victoria. Je lui ai tout dit, y compris qu'il existait un témoignage écrit totalement évocateur de cette période (l'existence de mon blog).
[…] Je trouvais qu'elle s'en tirait finalement à très bon compte. Certes je l'aime vraiment, c'est un fait indéniable aussi cruel et incompréhensible que cela puisse te paraître. Mais il est vrai qu'elle n'a pas eu à connaitre de la situation, à souffrir autant que toi et plus encore de s'interroger sur les raisons qui m'ont poussé à te fréquenter et à nourrir progressivement des sentiments amoureux profonds pour toi. Je voulais qu'elle le sache que j'ai aimé une autre femme, qu'elle comprenne que je t'ai fait souffrir pour ne pas avoir pu me résoudre à choisir, qu'elle prenne conscience qu'elle m'avait fait également souffrir. […]
Je lui détaillais ensuite les circonstances de cet aveu. En particulier, comment mon corps et mon esprit s’étaient ligués contre moi pour m’infliger la première panne de bandaison de ma vie, laquelle constituerait ma pénitence sexuelle. Je lui faisais part de la réaction de Victoria, très digne et ce que cela supposait en termes de reconstruction de mon couple. Cette révélation faite à mademoiselle B. était une réponse édifiante au défit qu’elle m’avait lancé.
» Tu m'as demandé quel acte de courage j'étais prêt à faire pour toi. Avouer à Victoria l'existence de notre amour, prendre le risque de tout perdre, simplement par loyauté pour toi, et désormais envisager de faire une croix sur ma sexualité, c'est un acte de courage qui pourra te sembler dérisoire mais qui a beaucoup de sens pour moi. Et ni Victoria ni moi n'avions beaucoup à gagner de cet aveu. Il aurait été beaucoup plus aisé de jeter un voile pudique et faire comme si de rien n'était.
Je voulais offrir cet acte de courage comme cadeau d’adieu à mademoiselle B. Désormais, je venais de rééquilibrer la situation entre les deux femmes. Mademoiselle B. sortait enfin de l’ombre et Victoria descendait du piédestal sur lequel elle n’avait jamais souhaité être placée. Pour ma part, je devrais désormais en assumer les conséquences dans ma vie intime et faire pénitence.
Cela aurait dû se finir ainsi. Cette révélation aurait dû être le dénouement de l’histoire d’Isaac et mademoiselle B. Les mots conclusifs de ma chronique d’une impossibilité amoureuse. Une fin douloureuse mais digne pour l’ensemble des protagonistes.
Malheureusement, j’ai parfois ce terrible défaut de ne pas savoir m’arrêter à temps. Savoir conclure une allocution brillante sans vouloir trop en dire au risque de perdre mon auditoire, savoir terminer magistralement un chorus inspiré de violon sans ajouter les trois notes de trop qui foutent tout en l’air… Mon péché véniel.
Bref, je remettais une pièce dans le juke-box :
» Une autre histoire pourrait-elle s'écrire entre nous ? Je ne sais pas. Il faudrait que tu acceptes une lourde concession : que je souhaite continuer à faire ma vie avec Victoria même si rien ne sera plus comme avant. J'ai besoin de Victoria et elle compte pour moi. Serais-tu prête à accepter que mon amour aille en direction de deux femmes ? J'en doute. Victoria pourrait-elle l'admettre de son côté ? J'ai des doutes également. […]
Toutefois la place que tu occupes dans mon cœur est intacte et elle est considérable. Ne plus me réveiller à tes côtés, ne plus sentir tes petits seins délicats, ne plus contempler tes fesses enivrantes, est un crève-cœur. Ne plus ressentir mon cœur aller à cent à l'heure lorsque tu explores mon corps dans l'amour, me semble être une torture. Ne plus m'extasier devant ton imagination débordante, ta spontanéité, ta générosité vertigineuse, me semble inconcevable. Mais je suis prêt à me priver de toi et de tout ce que tu m'apportes si je devais t'imposer un jour de plus la souffrance d'une relation asymétrique.
La seule chose que je sais c'est que si nous devions nous revoir à l'avenir, cela ne pourrait s'inscrire que dans le cadre d'une relation assumée et équilibrée où tu aurais pleinement ta place, en pleine lumière.
Je venais de tout foutre en l’air, grisé par ma propre prose. J’entrouvrais, sans m’en rendre compte, une porte dans laquelle mademoiselle B. ne manquerait pas de s’engouffrer avec l’énergie du désespoir. En réalité, je n’étais pas parvenu à éliminer totalement l’hypothèse polyamoureuse que mon cerveau rationnel avait pourtant réussi à écarter. Isaac redevenait Marie-Jo.
Il faut dire qu’un élément de taille m’amenait à m’accrocher à l’idéal inepte d’une vie amoureuse partagée entre deux femmes. Je savais que ma rupture avec mademoiselle B. signifiait le début d’une ère d’abstinence sexuelle à durée indéterminée. Perspective terrorisante s’il en est.
Pendant plusieurs jours, j’eus besoin de me confier, de parler aux rares proches de confiance à qui j’avais révélé mon histoire avec mademoiselle B : #Le_djé, le Président de mon association militante et bien sûr ma mère. Je leur fis part de ma supposition polyamoureuse. Était-elle envisageable dans l’hypothèse, certes hautement périlleuse, où la situation serait acceptée par Victoria et mademoiselle B ? Pouvait-elle être viable ? Et si B. T avait raison ?
Les réponses indignées ne se firent pas attendre, à l’exception de celle de mon pote #le_djé qui restera amicalement neutre mais franchement dubitatif.
#Le_djé (suisse) : « Ça me semble compliqué ton histoire… »
#Président (inquiet) : « C’est super dangereux. Tu ne peux pas sortir vivant d’une telle situation. Tu dois recentrer ta vie autour de Victoria si c’est avec elle que tu veux faire ta vie. Ne t’inquiète pas, la sexualité reviendra entre vous. Ça viendra avec le temps »
#Ma mère (agacée) : « Tu débloques complètement. Tu veux prendre pour modèle B.T. ? Ce gros dégueulasse ?! Excuse-moi, mais je ne crois pas une seconde que Victoria accepterait une telle situation, ce serait humiliant pour elle. Quant à mademoiselle B., tu as songé un instant à l’angoisse dans laquelle elle vivrait. Je t’ai dit que tu pouvais envisager un jour une sexualité extra-conjugale avec une femme mariée si tu ne trouvais plus ton compte avec Victoria sur ce plan-là. Comme le font des millions de couples sans que cela ne nuise à leur couple et à l’amour qu’ils se portent. Mais pas avec une célibataire en âge d’avoir des enfants. De quel droit pourrais-tu lui imposer de vivre dans l'ombre pendant que tu ferais ta vie avec Victoria ? Je pense que c'est n'importe quoi et malsain. Si tu veux mon avis, ça ne pourrait fonctionner, à l’extrême rigueur, que si tu lui donnais un enfant. Elle aurait une monnaie d’échange solide qui rééquilibrerait la situation. Mais je n’ose même pas l’imaginer. Ecoute, je ne suis pas la bonne personne pour te donner des conseils sur ce point. Il y a une barrière générationnelle trop importante entre nous. »
J’étais complètement penaud. Je venais de prendre conscience de ma bêtise et de mon égoïsme. Mais le mal était fait. Mademoiselle B. accueillerait sûrement mon message et toutes les ambiguïtés qui le parsemaient comme une déclaration d’amour et le signe univoque que le vent tournait en sa faveur.
Sa réponse parvenue dans ma boîte mail le lendemain confirmera malheureusement toutes mes craintes :
» Mon très cher,
Encore un mail qui me surprend, me déstabilise et me touche.
...C'est un doux euphémisme.
Mademoiselle B. avance prudemment et tente de me prendre à contre-pied en magnifiant la dimension jouisseuse de ma personne :
» […] Tu as préféré réfréner une partie de toi même. Tu me redis aujourd'hui ne plus vouloir inhiber à nouveau l'aspect jouisseur de ta personne - outre le fait que c'est quelque chose que j'ai déjà entendu, et sur lequel tu es déjà revenu par le passé, puis je te croire ? J'exprime ici les craintes profondes qui me tenaillent. Je souhaite toutefois faire un vœu : Je souhaite que tu ne t'oublies plus jamais, tant tu as un corps entièrement dédié au plaisir, et une capacité à te donner et à donner du plaisir entièrement et sans commune mesure. Ce serait un triste gâchis que de laisser en jachère ces magnifiques qualités.
Mademoiselle B. ne manque pas de lucidité, cela dit. Elle écarte logiquement l’hypothèse d’un ménage à trois, que j’avais moi-même présentée comme une dystopie.
» Ton fantasme (tu as appelé cela une dystopie, alors que tu voulais certainement dire utopie, l'erreur est intéressante !) d'un "trouple" est illusoire pour de multiples raisons.
Elle pense néanmoins que j’ai fait un lapsus et que c’est vraiment ce dont je rêverais. Non, très chère, c’était bien le terme de dystopie que j’ai utilisé, à dessein. J’ai toujours pensé qu’une telle perspective serait cauchemardesque. Ce qui ne m’a pas empêché de la formuler. Certes.
Elle égrène ses raisons, très justes pour la plupart afin d’écarter cette hypothèse : la jalousie, la volonté d’emporter le morceau et de mettre hors-jeu la rivale, l’insécurité d’une telle situation, pour elle au premier chef. Accepterais-je de mon côté d’être en concurrence avec un autre homme ? Bonne question. Non, vraisemblablement.
Elle revient également sur les circonstances de sa première entrevue avec Victoria : Victoria l’aurait humiliée à la fin d’un concert en l’ignorant de manière brutale. Ce qui lui fait dire que Victoria chercherait à la détruire. Elle m’a parlé plusieurs fois de cette anecdote par le passé. Je crois sincèrement qu’elle délire, qu’il s’agit d’un malentendu voire du fruit d’une projection de mademoiselle B sur sa rivale. Victoria m’assure n’avoir aucun souvenir de cette histoire et qu’il ne lui serait jamais venu à l’esprit de faire une chose pareille. Je la crois. J’ai vu la scène. Mais passons.
Plus loin mademoiselle B. réinterroge une nouvelle fois le sens de cette rupture :
» Quelle a été la raison de cette rupture en réalité ? Et ce soulagement que tu as ressenti à l'approche du dénouement ?! C'est important de l'interroger non ? N'as-tu pas pris cette décision pour toi ?
Mademoiselle B. met le doigt sur un point aussi crucial qu’évident. Tellement évident que je fus surpris de le voir aussi naïvement énoncé. En effet, pour qui d’autre que moi, aurais-je pris une telle décision de rupture ? Evidemment que c’était pour me préserver que j’ai souhaité mettre fin à notre relation. Pour mettre fin à ma torture mentale, pour retrouver de la sérénité, du calme dans ma tête, du temps et de l'énergie de poursuivre mon œuvre de vie... Certes, j’ai tout fait pour mademoiselle B. comprenne que c’était pour son bien que je la quittais. En vain ; on ne fait pas le bonheur des gens contre leur gré, c’est entendu. Mais de là à penser que j’avais pris cette décision pour quelqu’un d’autre, j’en restais coi.
La suite de son message allait confirmer mon mauvais pressentiment. Mademoiselle B. s’engouffrait bel et bien dans la brèche que j’avais ouverte stupidement.
» Tu dis ensuite que si nous devions nous revoir, ce devrait être dans le cadre d'une relation assumée et en pleine lumière.
Tu as passé de longs mois à me persuader que je valais mieux que je ne le croyais, que j'étais plus qu'une petite nénette fragile qui ferait mieux de rester à sa place. Tu m'as convaincue que j'avais le droit - non, que je méritais ! - d’Être et d’Exister, et de le revendiquer. Je suis donc là aujourd'hui, debout, à acquiescer à tes propos : Oui, je mérite mieux qu'une existence de luciole.
Et, bien sûr, j'en aurais follement envie avec toi. […]
Si je fais "L'utopie de Mademoiselle B", ça donnerait quoi ?
Voilà qui m'a tenu éveillé quelques nuits.
Pour ma part, oui, moi je souhaite construire, avoir des projets. Donner une place, partager - c'est une évidence. Tu me raillais "la famille nucléaire ? Acheter une maison ?!" ; personnellement, j'ai déjà acheté ma maison et assouvis ce besoin de sécurité, de propriété, d'investissement... Et ce petit côté girl power en l'ayant fait seule. […] Oui, je rêve d'un cocon à deux, et plus encore, avec toi, d'un lieu où pourrait s'exprimer la créativité et l'amour. Un atelier commun. Des projets artistiques, et quelques-uns, qui sait, qui pourraient peut-être s'entrecroiser. T'écouter jouer. Rattraper mes lacunes cinématographiques avec toi. Te laisser m'apprendre la musique. Aller à des spectacles, des concerts. Profiter de la très belle programmation de notre ville - ou plus loin. Nous nourrir l'un l'autre, l'un de l'autre.
Oui, j'ai déjà évoqué aussi le fait que j'aurais aimé partir en vacances avec toi, en weekend - blessée par le fait que tu ne semblais pas avoir ce désir plus que par l'impossibilité nette que tu m'as opposée, vu les circonstances. J'ai ce désir, tant j'adore les vacances à deux - rarement expérimentées, malheureusement. Pour autant, je sais aussi que j'ai parfois besoin de partir seule ou avec des amies. Pourquoi ne le pourrais-tu pas également, après tout ? […] Je déteste les "amitiés de couple", où l'on ne se voit que par deux sinon rien. Je crois à l'existence salutaire d'une vie autour de la vie à deux. Ce fameux 1+1=3. En bref, pourrait-on être le couple que je souhaite, que tu semblais souhaiter, qu'elle ne désire pas, et garderiez-vous l'attachement, l'amitié, la complicité, de cette relation que vous avez, et qui semble être le plus important pour vous deux ?
Voici l'Utopie - mais j'ai un problème, depuis que j'ai lu Thomas Moore à 17ans, c'est que les Utopies me semblent possibles.
Enfin, l'Utopie, dans l'absolu.
Dans le futur.
Lâchons le mot, j’étais dans la merde. Je m’y étais fourré tout seul cela dit. Cette incapacité à assumer mes choix, ma pusillanimité, mes ambiguïtés, mes « je te quitte mais je t’aime », tout ça me retombait sur le crâne comme la fiente du pigeon de ma faiblesse. J’avais offert à Mademoiselle B. de pouvoir s’accrocher à son amour pour moi et elle s’en saisissait, c’était bien naturel. Mais là, je n’avais plus le goût à son lyrisme sentimental. Ses poncifs sur l’amour 1+1 = 3, sa vision stéréotypée du couple uni par des projets de vie sans cesse renouvelés, cela me laissait de marbre... Rien de méchant sur le fond. Mais elle me disait en substance : « je suis l’amour et Victoria est l’amie. Tu veux de la passion, de la folie, du sexe, c’est moi qui peux te les apporter. Oublie cette rombière de Victoria et fais ta vie avec moi ». Or, ce qu’elle ne voulait pas voir, c’est que tout ce qu’elle promettait de partager avec elle, je l’avais déjà avec Victoria.
Au risque d’être cruel, ce que m’avait offert Victoria depuis 13 ans surclassait infiniment toutes les promesses que mademoiselle B. pouvait me faire en termes de constructions communes. Certes il y avait le sexe … Il faut dire les choses telles qu’elles sont : la sexualité fut le seul mode de communication symbiotique que nous ayons réellement entretenu mademoiselle B. et moi pendant neuf mois. Je ne minimise pas la chose et je sais tout ce que je dois à mademoiselle B. en termes de réveil de mes sens endoloris. Ce fut simplement formidable…mais ça ne fait pas un projet de vie à deux. Désolé. Vraiment désolé.
Car le reste était loin d’être aussi heureux, ce serait plutôt l’inverse. En tout cas, pas de quoi saliver à l’idée de lâcher la proie pour l’ombre.
» Je voulais un acte de courage, et tu m'en as donné un.
C'est ce que j'attendais, après tout.
Tu m'as tendu la main.
C'est à mon tour, de faire preuve de courage.
[…]
Je propose que nous ayons (à nouveau) un premier rendez-vous. […]
Nous sommes aujourd'hui, au vu des événements, déjà deux autres personnes.
Revoyons-nous comme si c'était la première fois, comme si nous jouions à nouveau "Rectangle de ciel bleu nuit", avec cette fébrilité, cette découverte, ces mains qui tremblent et nos cœurs qui palpitent ensemble.
Revoyons-nous sans dire un mot, en nous prenant juste dans nos bras, et en nous serrant fort, très fort.
J'ai tellement envie d'être tout contre toi.
Et puis parlons pendant des heures.
J'ai très envie de juste entendre le son de ta voix.
Et écouter ton rire.
J'aimerai me préparer comme pour un premier rendez-vous.
Choisir longuement mes vêtements.
Imaginer le moment où l'on se reverra.
Être impatiente toute la journée. Regarder l'heure toute les minutes.
Y penser la veille, et en rêver la nuit.
Attendre impatiemment ta main passée dans mes cheveux, et mes mains sur ton corps. Ma bouche contre la tienne, mon nez dans ton cou, et ton odeur sur ma peau, sur ta peau, tout mélangé.
Peut-être s’effeuiller dans le salon, comme la première fois, en s'embrassant longuement.
Et puis dormir l'un contre l'autre, et se réveiller ensemble.
Se regarder de nos petits yeux encore plein de sommeil.
Et se sourire.
Je me souviens m’être pris la tête dans les mains à la lecture de ces mots, interdit et hagard. J’avais quitté mademoiselle B. et c’était elle, maintenant, qui me faisait l’honneur de me proposer un (second) premier rendez-vous…
Je suis resté de longues minutes les yeux dans le vague. Comment ai-je pu être aussi con ? Je voulais en finir avec cette double vie qui me broyait le cerveau et j’avais fait le choix de ma vie avec Victoria. La rupture fut une épreuve violente mais j’en étais sorti vivant, bien que passablement éreinté. J’aurais pu m’en tenir là, j’aurais dû m’en tenir là. Au lieu de ça j’ai tout fait foirer en raison de ma lâcheté et de mon envie de ne pas faire (trop) mal. Mademoiselle B. ne voulait pas voir la réalité en face. Il faut dire que mes ambiguïtés coupables ne l’avaient pas aidée. Mais accéder à sa demande de la retrouver m’aurait immédiatement ramené neuf mois en arrière, d’autant que je venais d’annoncer officiellement la fin de mon épopée extra-conjugale à Victoria. Ce n’était plus possible. Je devais mettre fin à cette mascarade. Dire les choses clairement, enfin.
Quelques jours plus tard, je lui envoyais un message intitulé « assumer ou se consumer ». Un texte froid et austère, même si je tentais de faire bonne figure. Je surjouais un peu la peine et la joie pour faire passer la pilule : j’étais en phase avec tout ce qu’elle disait et accueillais avec enthousiasme son idée de nous retrouver comme pour la première fois, tout ça, tout ça.
Oui mais non.
» Mais te revoir maintenant impliquerait de continuer à vivre notre relation cachée et en pointillés. […] Et pour toi, redevenir une luciole. Souhaites-tu cela ? Non, évidemment, même si tu pourrais le supporter encore un temps.
Passer à la version [2.0 de notre relation] impliquerait des évolutions qui demandent du temps, peut-être beaucoup et surtout que le processus de reconstruction de mon couple avec Victoria aille jusqu'à son terme et rende possible une telle hypothèse. Et que tu acceptes de patienter. Peut-être en vain.
Tout ce que tu m'écris me laisse à penser que c'est illusoire même si tu sembles avoir apprécié que j'aie fait la lumière sur notre relation auprès d'elle. A te lire, je devine que tu garderas toujours au fond de toi l'espoir que les choses évoluent dans ton sens et que je te réserve tôt ou tard l'entièreté de mon amour. Dans le cadre d'une construction de couple inscrite dans l'exclusivité. Et cela, je ne peux te le promettre. Car je pense que je n'aspire pas à cela, pas là. Du moins pas comme toi tu te le figures. C'est sûrement là le principal hiatus entre nous.
La seule chose que je peux te promettre c'est que je t'aime profondément. Et que cela n'a pas changé. Au contraire. Et que je désirerais ardemment te revoir, être contre toi et vivre à nouveau ce moment que tu as décrit avec tant d'emphase.
Mais je ne veux plus te donner de fausses illusions et je ne veux plus sentir le poids de ta souffrance.
[…]
Evidemment que j'ai pris cette décision pour moi. Je me suis senti soulagé de ne plus être obligé de partager ma vie en deux, de sentir le poids de la culpabilité qui me ronge, de devoir faire des acrobaties pour que mes deux vies n'entrent jamais en interaction […], de me sentir lâche de ne pas être capable de prendre des décisions tranchées... Comme je te l'ai dit, tant que nous étions ensemble, j'étais tétanisé par l'idée de devoir faire un choix. Ce choix je ne le voulais pas car j'aime deux femmes et que je ne voulais en faire souffrir aucune. Mais j'ai cru en un signal de rupture qui me permettait d'alléger mon fardeau. C'est très égoïste. Toutefois, je t'ai démontré que j'étais capable de courage. Vis-à-vis de toi en acceptant le déchirement d'une rupture. Et vis-à-vis de Victoria en la faisant tomber de son piédestal.
Oui je me sens soulagé d'avoir été capable de faire un choix. Douloureux, frustrant, mais rationnel. Et maintenant je dois assumer ce choix. Avec tout ce que cela suppose.
Le soir même, je recevais la réponse de mademoiselle B., énervée et blessée, dont l’intention se résume à ce passage :
» De toute façon que pourrions-nous nous dire ? Ressasser ce qu'on a été ? Se promettre des scènes d'amour que nous ne vivrons plus ? Il n'y a plus rien à ajouter. Je t'ai donné toutes les preuves, toutes les déclarations dont j'étais capable. En échange j'ai reçu deux mails enflammés, et... ça. J'en ai la gerbe.
Je ne comprends pas ton titre, par ailleurs. "Assumer ou se consumer". Pourquoi ? Il n'y a pas de choix. Pas de perspectives de se revoir. Pas d'espoir. Tu n'es pas prêt à m'assumer dans ta vie. Ni désormais à prendre le risque de te consumer dans mes bras. Tu ne veux plus rien. C'est un adieu, purement et simplement. Mais que tu me laisses formuler. Je vais faire ce que tu hais tellement, un procès d'intention : je crois que ton mail est volontairement odieux pour me pousser à fermer moi-même la porte. Porte que tu avais rouverte, je tiens à te le faire remarquer. Peut-être à me mettre en colère, pour que je t'en veuille, et que j'en éprouve moins de tristesse.
Quelle est cette mascarade ?! A quoi joues-tu ?!
Non, ne réponds rien, c'était des questions rhétoriques. Ne m'écris plus, à moins d'être certain de tes choix, de ce que tu dis, de ce que tu fais. Mais je crois que ce genre de choses n'arrivera jamais.
Le surlendemain, alors que je sortais de mon immeuble pour me rendre au boulot, je vis débouler en trombes mademoiselle B. Elle m’avait attendu devant chez moi pour me remettre rageusement une enveloppe contenant les traces de mon passage chez elle. Une brosse à dents, une serviette et je ne sais quoi. Tentative de dialogue à travers la fenêtre de sa voiture dans laquelle elle était rentrée aussi sec. Je suis à la bourre, je dois aller au boulot, nous ne pouvons pas nous faire une scène dans la rue. Je lève les yeux au ciel. Je mets fin au dialogue, il faut que j’y aille. Je rentre dans ma voiture et mets le contact. Mademoiselle B. démarre de son côté. Nos chemins se séparent.
Fin de l’histoire ?
Ce serait un peu trop simple. Allez, encore un effort.
Là, c’est moi qui interpellais ma mauvaise conscience, passablement contrarié :
« Merci pour tes conseils foireux. Je me suis couvert de ridicule en lui parlant de polyamour. En y pensant, même. Comment ai-je pu être aussi stupide ? Et en plus mademoiselle B. me déteste maintenant.
- On ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs. Qu’est-ce que tu attendais ? Qu’elle te dise merci ? Si tu ne voulais pas la blesser, tu répondais favorablement à son invitation ; elle te tendait les bras, non ?
- Tu parles d’une affaire ! Revenir comme une fleur et reprendre ma double vie comme si de rien n’était. Je n’en peux plus, tu entends. Je deviens cinglé. Je veux retrouver ma sérénité et réserver mon amour à Victoria.
-Eh bien c’est ce que tu as fait, tu dois être soulagé maintenant
- Et pas qu’un peu !
- Certes tu devras te la mettre sur l’oreille pendant un temps certain. Adieu l’extase charnelle. Mais c’est le prix à payer pour retrouver ta « sérénité », me diras-tu ?
- En effet ! Désolé, mais j’essaye de ne pas réfléchir avec ma bite.
- J’en suis ravi. Tu devrais quand même rattraper ta prose merdique en envoyant à mademoiselle B. un vrai message d’adieu, bien écrit cette fois. Elle mérite au moins ça non ?
- C’est la dernière chose que je te concèderai. Tu m'as fait assez de mal comme ça. »
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