Le contrepoint d'Isaac : chronique d’une impossibilité amoureuse (Epilogue)

date_range 17 Novembre 2020 folder Isaac et mademoiselle B.

Epilogue : un spectre dans la nuit  amour sordide  le pouvoir destructeur des femmes

 

Les semaines qui suivirent la scène finale de mon épopée amoureuse avec mademoiselle B. coïncidaient avec la dernière (et encore longue) ligne droite avant mes vacances estivales avec Victoria. J’étais littéralement carbonisé d’un point de vue physique. Je n’avais pas pris de congés depuis février et ne m’étais pas arrêté de travailler un seul jour pendant le confinement. La période avait été dure d’un point de vue professionnel. Par ailleurs, j’avais totalement décalé mon rythme de vie pendant ces mois de célibat forcé. Les soirées zoom avec mademoiselle B., mon entreprise d’écriture acharnée d’articles (de blogs, des planches pour ma loge maçonnique et des articles pour le journal militant de mon association, mais en aucun cas de mon bouquin décidément au point mort), ma lecture passionnée de Et quelques fois j’ai comme une grande idée de Ken Kesey (ma plus grosse claque littéraire depuis au moins dix ans) … Bref, je tournais à 5h de sommeil par nuit depuis des mois.

Je nourrissais le fol espoir que la sortie de l’état d’urgence ferait naître un monde nouveau. Les conditions du déconfinement allaient vite doucher mes espérances : le monde d’après serait comme le monde d’avant mais en plus moche et en plus triste. La suite des événements me donnera malheureusement raison.

Pour l'heure, en ce début d'été, je voulais revivre, oublier ce virus de malheur. Au lieu de ça, il me fallait survivre dans un monde fait d’injonctions paradoxales entretenues par le risque d’une reprise épidémique et par l’irrationalité généralisée qui caractérisait l'époque. Je ne minimisais pas la situation, mais je voulais souffler, retrouver ce qui faisait le sel de mon existence. Faire revivre mon groupe de musique, reprendre les tenues maçonniques, m’engager à nouveau dans ma vie militante, retrouver le goût des concerts, revoir mes amis ...

Les choses allaient malheureusement s’avérer plus compliquées que prévu. Car la distance entretient la distance. Difficile de revenir au statu quo ante. Singulièrement pour ce qui est de mon groupe de musique. Mes musiciens tentaient de sauver leur intermittence et il ne me serait pas facile de les réunir pour des répétitions. D’autant que tous nos plans de concerts s’étaient cassé la gueule. Je commençais à me demander s’il ne fallait pas que je mette mon groupe entre parenthèse, le temps que la vie culturelle revienne pour de bon, sans masques ni gestes barrières. Par ailleurs, cet arrêt brutal n’était-il pas le signe que quelque chose ne marchait plus dans ma capacité à gérer ce projet ?

D’un point de vue plus intime, je sortais passablement éreinté par mon interminable et calamiteuse tentative de rupture avec mademoiselle B. Néanmoins j’étais sorti vivant et, mieux encore, j’avais réussi à sauvegarder un minimum de dignité dans l’épreuve. L’ultime scène de rupture m’avait rasséréné. Mademoiselle B. avait affirmé son droit à exister et elle m’avait posé des conditions intenables à la continuation de notre relation. J’avais refusé. En conséquence, notre rupture devenait un choix voulu et assumé par elle autant que par moi. L’issue que j’avais souhaitée depuis des mois s’était enfin matérialisée.

J’étais fier d’être parvenu à faire admettre l’inéluctable issue de notre impossibilité amoureuse à mademoiselle B. Il lui faudrait désormais faire le deuil de notre relation, se reconstruire mais de nombreux signaux me laissaient supposer qu’elle était sur la bonne voie. A commencer par la lettre envoyée à son oncle qui lui permettrait enfin de tuer la figure de l’enfant martyr qui l’habitait et l’empêchait de vivre. Mademoiselle B. était désormais armée pour exister indépendamment du regard de l’autre. Elle pouvait désormais s’aimer telle qu’elle est, condition indépasable pour pouvoir être aimée.

En toute prétention, et malgré mes innombrables erreurs, je pensais que j’avais été un (modeste) artisan de cette (r)évolution qui s’était opérée dans la vie de mademoiselle B. Je l’avais accompagnée dans des épreuves de vie importante, nous avions eu des heures de discussions, je lui avais donné des tonnes de conseils, bons ou mauvais, peu importe, mais je l’avais amenée à prendre conscience de la nécessité de tuer les funestes démons qui torturaient son esprit. Je lui avais soutenu contre vents et marées qu’il ne pouvait y avoir de pardon sans qu’elle obtienne, préalablement, réparation de la part de ceux qui l’avaient fait souffrir. Quoiqu’elle en pense, c’est moi qui lui ai suggéré d’écrire à cet oncle infâme qui l’avait brutalisée. En tout cas, je le croyais.

Quant à moi, je ne l’avais pas privée d’amour. Je lui avais seulement interdit de m’aimer sans s’interroger sur le sens qu’elle donnait, elle, à son amour. Je souhaitais ardemment qu’elle cesse d’idéaliser son désir pour moi. Qu’elle comprenne que tout ce que je pouvais lui offrir ne passait pas, de toute évidence, dans une projection de couple. La scène d’adieu, tout en douceur, qui avait mis fin à notre histoire commune m’avait convaincu que j’avais eu raison de procéder comme je l’avais fait. En dépit de mes erreurs, de mes ambiguïtés et de la souffrance provoquée par mes hésitations coupables. J’étais prêt à assumer la responsabilité de mes errements. Mais seul le résultat comptait. Or, mademoiselle B. m’avait quitté, en pleine lucidité. Tout simplement car elle avait admis l’évidence : le fruit mûr de la rupture était tombé, spontanément, au pied de l’arbre de notre impossibilité amoureuse.

En résumé, j’étais totalement épuisé mais heureux du dénouement de l’histoire. Je pouvais désormais me recentrer totalement sur ma vie avec Victoria. Nous devions rattraper le temps perdu et retrouver goût à notre vie commune. Nous devions faire, l’un et l’autre, notre aggiornamento, c’était évidemment. Nous devions surtout parvenir à enfin mettre des mots sur les maux de notre chute de désir.

Hasard ou coïncidence, je suis tombé, à l’occasion d’un passage en librairie, sur le dernier opus du sociologue Jean-Claude Kaufmann intitulé Pas envie ce soir. Je me saisis de l’ouvrage et consultai la quatrième de couverture. Stupéfaction, le livre parlait précisément de la chute du désir dans le couple. Quelques jours plus tard, je proposerai à Victoria que nous en fassions une lecture croisée. Victoria accepta sans hésiter.

La lecture de l’ouvrage nous interpella au-delà de que j’avais envisagé. Pour la première fois, nous prenions conscience du caractère universel du dysfonctionnement sexuel que nous vivions dans notre couple. En dépit du tabou très opaque qui règne sur la question. A travers une enquête fouillée, l’auteur réunit de nombreux témoignages et pose une analyse sociologique éclairante sur le processus qui mène à la chute de désir au sein du couple. La routine conjugale, l’arrivée des enfants, l’enfermement des conjoints dans une posture rassurante et débilitante, le déséquilibre de participation aux tâches ménagères, provoqueraient peu à peu une chute de l’imaginaire érotique. Face à la chute du désir, les membres du couple mettent en œuvre des stratégies variées pour tenter de remédier à cet état de fait quasi-inéluctable : consultations (inutiles) de sexologues, et bien sûr relations extra-conjugales… Les hommes vivent généralement plus mal la baisse du désir de la part de leur partenaire et peuvent se laisser entraîner dans la « zone grise », qualifiant les rapports imposés au conjoint à force d’insistance voire au travers de procédés plus répréhensibles moralement. Pas vraiment du viol, mais pas franchement du sexe consenti. Je m’interroge : me suis-je déjà retrouvé dans la zone grise avec Victoria ? Peut-être.

L’ouvrage est critiquable, assurément. Il a notamment subi un tir de barrage de la part de féministes qui reprochent la vision masculine de l’auteur sur le désir féminin. Cela peut s’entendre. Pour ma part je regrette que l’auteur ne donne pas ou presque de pistes pour enrayer ce long processus de chute du désir au sein du couple.

Quoiqu’il en soit, la lecture croisée du livre de Kaufmann nous fera beaucoup de bien à Victoria et à moi. Cet exercice donnera des mots à Victoria pour qu'elle puisse enfin verbaliser son ressenti. Nous pouvions dès lors nouer un dialogue sain et serein sur la question. Ce dialogue que j’attendais depuis si longtemps. Nous convenons qu’il nous faudra du temps pour regagner la voie du désir. Ce sera un long périple exigeant patience et empathie. D’autant que Victoria doit digérer, à présent, l’annonce de ma relation de neuf mois avec mademoiselle B. Elle a pris un gros coup sur la caboche et son narcissisme a été largement ébranlé. Le processus de cicatrisation sera long. Je l’accepte humblement.

Dans trois semaines, nous partirons en vacances dans les Alpes. Des vacances vitales pour nous deux qui doivent nous permettre de nous ressourcer après ces longs mois de chaos. Ce séjour devait être le nouveau point de départ de notre couple. Nous nous le promettons.

Entre temps, nous tâchons de réenchanter notre couple. S’appeler quotidiennement, s’adresser des petites pensées aussi futiles que vitales. Et tâcher de passer des moments agréables en rompant avec nos vieilles habitudes débilitantes de vieux couple. Jouer à des jeux de société, regarder des films, partager les moments communs, être affectueux l’un avec l’autre, discuter de nous, rire… Certes, pour ce qui est de la sexualité, il faudra patienter...

Comme convenu, à la mi-juillet, Victoria a fait le déplacement pour passer le week-end chez moi. Sa venue coïncidait avec la programmation du club de jazz que nous aimons tant. Nous passons un moment formidable : visite du beau musée d’art moderne, concert jazz le samedi soir, brunch le dimanche midi, balade dans la ville. Une véritable capsule de complicité et d’intimité retrouvée.

Le dimanche après-midi, alors que nous flânons en ville, nous découvrons qu’une exposition d’art est organisée dans un lieu culturel municipal. Nous entrons et restons interdits devant les œuvres exposées : l’artiste s’est visiblement spécialisé dans une technique picturale primesautière consistant à étaler de la peinture sur des supports en plexiglass transparent. On se fend de commentaires discrets mais acides sur la piètre qualité artistique des œuvres exposées. « Ce clou est réservé à la touche personnelle » chuchoté-je malicieusement à Victoria. Elle me sourit et c’est à ce moment précis que l’artiste exposant vient nous accoster…

« Comment avez-vous trouvé l’exposition ? » nous demande-t-il.

Instant de malaise dont nous devons nous dépêtrer  d'urgence. C’est Victoria qui prend les choses en main (les rames, devrais-je dire) et elle parvient à sauver les apparences :

« C’est intéressant, répond-elle avec un enthousiasme totalement hypocrite. C’est une technique originale… Le jeu d’ombre de la peinture par la transparence du cadre en plexiglass donne une autre dimension à l’œuvre.

Bien joué, Victoria

- Merci. Vous peignez également ?

- Oui, en amateur. Mais je n’ai jamais osé exposer.

- Oh, il faut vous lancer ! Vous savez c’est ma première exposition aujourd’hui. Mais je vais animer des ateliers pour enseigner ma technique de peinture sur plexiglass. J’ai eu le temps de peaufiner ma technique pendant le confinement. Si cela vous intéresse, donnez-moi vos coordonnées…

- Vous savez je ne suis pas du coin, je suis de passage…

- Ah d’accord. Mais vous pouvez me laisser vos coordonnées si cela vous intéresse de suivre mon actualité. »

Victoria s’exécute pour prouver sa bonne volonté. Elle inscrit ses coordonnées et son adresse mail dans le livre d’or. Nous en profitons pour prendre congé.

Une fois sortis, nous rions de bon cœur. Victoria a toujours été incroyable quand il s’agit de parler à des inconnus et donner le change.

Le week-end touche à sa fin. Victoria doit partir, en cette fin de dimanche. Nous avons passé un moment délicieux. Je me retrouve seul en cette fin de dimanche estival. Mais cette fois-ci je ne suis nullement submergé par une vague de nostalgie mélancolique. Quinze jours se sont écoulés depuis notre scène d’adieux avec mademoiselle B. Elle est sortie définitivement de ma vie et de mon esprit. Je ne la reverrai plus.

Je suis apaisé. La semaine de boulot démarre avec des petites satisfactions professionnelles. Manifestement, nous sommes (temporairement) sortis de la crise du Covid, les choses reviennent quelque peu à la normale, je me mets à y croire. J’ai Victoria au téléphone chaque soir. Nous finalisons à distance le programme de vacances. Sur la route nous rendrons visite à sa grand-mère qui va fêter ses 100 ans. Plus qu’une dizaine de jours avant notre coupure salutaire à la montagne…

Avant de m’endormir, je me plonge dans le roman fleuve de Ken Kesey. Un chef d’œuvre de la littérature américaine écrit par l’auteur de Vol au-dessus d’un nid de coucou. Je suis obsédé par la vengeance sournoise que fomente le jeune et introverti Lee Stamper pour tuer (symboliquement ?) son frère Hank, le colosse invincible. Un univers de bûcherons aux prises avec le syndicat local, une histoire de clan familial évoluant dans une ambiance presque consanguine, une impressionnante description du monde ouvrier américain des années 1960 et sa virilité en déclin. Et cette phrase « Lâche rien de rien ! » qui hante les personnages. Je n’ai jamais rien lu d’aussi puissant depuis Steinbeck.

Je vais bien. Je pratique assidûment mon instrument. Nous avons réussi à répéter avec mon groupe pour la première fois depuis des mois. Certes sans le clarinettiste mais notre nouveau batteur défonce tout. Ça y est, la vie reprend. Et pour ne rien gâcher, France culture propose une programmation d’été époustouflante. Une série radiophonique sur la vie de Karl Marx est diffusée. Formidable. Il existe encore un service public audiovisuel dans notre pays…

Un soir, je savourais justement l’un des épisodes de rediffusion nocturne de la série marxienne, tout en jouant à un jeu sur mon ordinateur. J’étais happé par l’épisode. Je me remémorais mes lectures adolescentes du génie de la philosophie matérialiste qui avait révolutionné les sciences sociales… Et ma vie. L’émission touchait à sa fin et je m’apprêtais à éteindre mon ordi pour finaliser mes petits préparatifs précédant le coucher. Et retrouver Ken Kesey.

C’est à ce moment précis que j’entends un bruit bizarre. Je ne réagis pas immédiatement.  Cela ressemble à une sonnerie de téléphone qui semble provenir de la radio. Dans une émission sur Marx ? Je réalise soudain que l’on a changé mon interphone et la sonnerie n'est plus la même. Je me lève. Est-ce une mauvaise blague ? Une erreur ? Il est minuit moins dix. On n’a pas idée de déranger les gens à cette heure. Je regarde l’écran vidéo de mon interphone. Personne. Puis, subitement, la caméra capte l’image diaphane d’un spectre dans la nuit. Un spectre qui a les traits de mademoiselle B.

Putain, c’est quoi ce bordel !

« Bonsoir, que fais-tu ici ? Tu veux monter ? » lui demandé-je, ahuri, à travers l’interphone.

Pas de réponse ou imperceptible.

« Ok, je descends »

Je me rhabille et rejoins mademoiselle B. au bas de mon immeuble. Elle semble dans un état second. Son regard est habité par l’angoisse. Je suis inquiet. En me voyant, elle fait volte-face :

« Je ne sais pas ce que je fais là. Je suis venue sans raison. Je vais repartir…

- Bon, allez, monte. Dis-moi ce qui ne va pas. »

Elle hésite et finalement elle me suit.

Arrivés dans mon appartement, je tente de la mettre à l’aise. Elle n’est pas dans son état normal. Je la fais s’asseoir. Je lui offre une tisane.  Elle me tient des propos assez incohérents. Je ne comprends rien. Mais je tâche de rester serein. Après tout, c'est normal qu'elle ait envie de parler.

« Je voulais savoir comment tu allais, me dit-elle. Mais tu sembles aller bien. Franchement, tu as bonne mine. Qu’est-ce que je fais là ? Je vais partir …

- Je ne comprends pas pourquoi tu es venue en pleine nuit …

- Tu m’as dit que tu réfléchirais à ma proposition. Je n’en peux plus de ne pas avoir de nouvelles de ta part.

- Je t’ai dit que je réfléchirais ?! Mais je n’en ai aucun souvenir.

- Si, c’est que tu m’as dit. Mais j’ai ma réponse…

- Je croyais que les choses étaient claires. Nous nous sommes dit adieu, notre rupture était …

- Au fait, est-ce que tu ne te serais pas rendu avec Victoria dans une exposition de peinture dimanche dernier. Je comptais m’inscrire aux ateliers de l’artiste et j’ai vu les coordonnées de Victoria. Jusqu’au bout elle va me poursuivre et m’empêcher de vivre !

- Mais non, ce n’est rien. Elle a donné ses coordonnées pour se débarrasser de l’artiste car on a trouvé son exposition épouvantable. Rassure-toi, elle n’envisage pas du tout de suivre les cours de peinture sur plexiglass…

- Décidément, il faut que je quitte cette ville. Elle me poursuit même ici »

DANGER MAXIMAL.

Convocation en urgence de mon ça et de mon surmoi.

Moi : Que-dois-je faire ?

Surmoi : Il faut que tu la raccompagnes à la porte et que tu sois ferme. C’est fini entre vous !

Ça : Tu parles ! Elle est là, tu ne vas pas la laisser repartir comme ça. En plus, elle n’est pas dans son état normal. Fais ce que tu as toujours fait avec elle. Fais-lui l’amour. C’est le seul registre dans lequel tu n’as pas été ridicule dans cette histoire.

Surmoi : Ne l’écoute pas. C’est de l’abus de faiblesse. C’est criminel.  Il faut qu’elle parte. Elle doit quitter ta vie. Définitivement.

Moi : Alors que dois-je faire ?

Ça et Surmoi en chœur : Démerde-toi maintenant !

Finalement, je demande à mademoiselle B. si elle veut passer la nuit ici. Elle ne sait pas, elle hésite. Je la prends dans mes bras. Je l’embrasse. Je me rends compte qu’elle est fiévreuse. Est-ce qu’elle est sous produits ? Je m’interroge. Elle pleure dans mes bras.

Je ne peux pas la laisser partir. Nous devons faire l’amour une dernière fois. Ce sera la dernière, promis juré. Ce n’est pas raisonnable mais c’est la seule chose que je puisse lui offrir. Nous nous embrassons longuement et nous déshabillons mutuellement. Je guide mademoiselle B. jusque dans ma chambre mon lit et à aucun moment, elle ne me signifie son souhait de ne pas me suivre.

Je réalise qu’il ne me reste qu’une seule capote. C’est la fin du stock réservé à mes ébats avec mademoiselle B. Je l’avais planquée dans mon portefeuille afin que Victoria ne tombe pas dessus en venant chez moi. Je saisis mon portefeuille au passage tout en continuant de guider mademoiselle B. dans ma chambre.

La suite s’est déroulée de manière extrêmement bizarre, presque surréaliste. Je serai épouvanté de découvrir plus tard, sous la plume de mademoiselle B., la manière dont je me serais comporté avec elle. Lui ai-je manqué de respect à ce point, l’ai-je baisée sans amour, ai-je abusé de sa faiblesse ? Du moins c’est ainsi que mademoiselle B. a ressenti les choses. Elle a sûrement ses raisons de le penser. Pour ma part, je n’ai pas le sentiment de lui avoir fait l’amour d’une manière si différente des nombreuses fois précédentes et je n'ai à aucun moment cherché à lui manquer de respect.

Sauf qu’il n’y avait plus de passion amoureuse ce soir-là et que rien n’était plus comme avant. Là se situe le véritable drame de cette nuit irréelle. En l'absence de sentiment amoureux cet ultime moment d’amour ne pouvait que se révéler désastreux, pour elle comme pour moi.

Le traumatisme qu'a provoqué cette scène dans l'esprit de mademoiselle B. n’a rien à voir, selon moi, avec le déroulement de notre relation sexuelle en tant que telle mais avec les circonstances extrêmement glauques de cette nuit de malheur. Il n’y avait plus de désir, voilà le fin mot de l’histoire. En premier lieu dans l’esprit de mademoiselle B. Car elle venait de prendre conscience que j’étais bel et bien résolu à tourner la page et à la faire sortir de ma vie.

 

J’ai pourtant tenté d’être généreux ce soir-là, comme à chaque fois que j’ai fait l’amour avec mademoiselle B. Je n’ai nullement souhaité la baiser. C’est pourtant ce que j’ai fait. Non pas en lui infligeant des pratiques sexuelles brutales, dégradantes ou, pire, en passant outre son consentement. Mais, tout simplement, en refusant son désir de tendresse et de partage amoureux. 

 

Elle aurait aimé de la douceur, des baisers fiévreux, des mots doux, des promesses, s'aventurer sur mon corps, que sais-je encore. Je l’entends. Mais j’étais pour ma part dans l’incapacité de lui offrir cela cette nuit-là. Pendant que nous faisions l’amour, j’étais pétrifié par l’ineptie de la situation. Je ne voulais plus de cette relation, je voulais que mademoiselle B. quitte ma vie. Au lieu de cela, je la retrouvais dans mon lit après qu’elle eut déboulé chez moi à l’improviste. J’ai refusé sa tendresse, je n’ai pas voulu qu’elle me touche et qu’elle me fasse don de sa générosité légendaire dans l’amour. Accepter ses attentions érotiques me semblait déplacé. Je ne la méritais pas, pas davantage que de venir en elle si elle m’avait pris en bouche. Elle a d’ailleurs tenté de me sucer au début de nos ébats, et j’ai esquivé. Paradoxalement, je pense que c'est parce que j'ai repoussé ses tentatives de profiter de mon corps qu'elle a jugé la scène brutale. Je refusais sa générosité et la cantonnais dans une posture passive ; cela était violent à ses yeux, je veux bien le croire. Je précise à toutes fins utiles qu'à aucun moment, mademoiselle B. ne m’a demandé d’arrêter. Si cela avait le cas, je me serais exécuté net. 

 

Je ne remets pas en cause la manière dont mademoiselle B. a vécu ce moment. Mais je récuse toute accusation de brutalité. J’ai toujours été attentif à son corps et de nombreux témoignages de sa part y compris non publiés sur son blog attestent que j’ai toujours été un amant attentif à son plaisir et respectueux de son corps. Quoiqu'elle en pense, j’ai cherché à lui donner du plaisir cette nuit-là, sincèrement, et j’avais peur de tout gâcher en venant trop vite si elle m’entreprenait. J’ai donc fait durer les préliminaires, je lui ai léché le sexe longuement, je l’ai caressée, et j’ai frotté mon sexe contre le sien. Autant de choses qu’elle adorait jadis. Je n’ai pas souhaité la pénétrer car je ne voulais pas gâcher mon dernier préservatif afin de le réserver à des ébats ultérieurs. Sous aucun prétexte je ne l’aurais pénétrée sans protection. D’ailleurs, cela n’aurait pas été possible car elle m’a informé après coup qu’elle avait ses règles et qu'elle portait sa cup. Je ne m’en étais pas rendu compte... Cela dit, j'admets que le coeur n'y était pas et que j'ai agi avec égoïsme. Et sûrement avec brusquerie.

 

Je dois bien avouer que je me suis mis, très vite, à penser qu’il serait peut-être mieux de remettre ça plus tard dans la nuit car les choses ne tournaient pas rond. En réalité, je voulais surtout sortir au plus vite de cette galère. Car moi-même je commençais à me sentir mal. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai voulu précipiter mon éjaculation, qui ne m’a, au demeurant, procuré aucun plaisir. Je me suis masturbé d'une main pendant je caressais son sexe de l'autre et j'ai effectivement éjaculé sur le bas de son dos comme cela m’était arrivé de venir sur ses seins ou d’autres parties de son corps par le passé sans que ce dénouement ne provoque la moindre gêne entre nous. Mais cette fois-ci, la situation devenait terriblement gênante. 

 

Je me suis blotti contre elle. J’ai essayé tant bien que mal, avec la main, de retirer mes épanchements qui souillaient ses fesses. En vain, cette satanée purée est la chose la plus infâme qui soit. Je me suis donc levé pour prendre une serviette et la libérer de cette salissure affreuse. Presciption hygiéniste assez glaciale.

Mademoiselle B. n’a pas dit un mot. Cette scène d’amour est l’une des plus glauques de toute ma vie. 

Nous nous installons ensuite correctement sous les couvertures, l’un contre l’autre. J’en profite pour me saisir de la capote située dans mon portefeuille au bas du lit et la placer dans le tiroir de ma table de nuit, pour éventuellement remettre ça, plus proprement, avec elle. Mademoiselle B. est surprise :

« Pourquoi tu as une capote dans ton portefeuille ? Est-ce que tu serais en recherche de partenaires ? »

Je suis halluciné. Qu’est-ce qu’elle croit ?

Du sexe, j’en ai tout mon saoul pendant des mois. Voila où tout cela m’a mené. Non, ma chère, ma vie sexuelle va désormais rimer avec abstinence.

Je lui réponds sèchement :

« C’est ma vie privée, cela me regarde »

Je m’aperçois qu’il est très tard. La nuit est déjà bien entamée et je bosse le lendemain. Mon corps lâche, je suis en train de sombrer. Je n’aurai nullement la force de refaire l’amour avec elle. En ai-je seulement l’envie ? Non, définitivement. Sa présence à mes côtés n'a aucun sens.

J’entre dans un demi-sommeil mais ne parviens pas à déconnecter mon cerveau. Je sens que mademoiselle B. s’agite à côté de moi, elle ne dort pas. Elle est brûlante. Je ne suis pas serein et je n’arrive à entrer dans un sommeil profond. Il est presque 4 heures du matin. Je commence à paniquer.

Mais mademoiselle B. veut parler et je ne comprends pas la moitié des phrases qu'elle prononce.  Je lui formule des réponses réflexes directement élaborées par mon système limbique. Je la supplie de me laisser dormir. Elle insiste de manière totalement surréelle :

« Je voulais savoir comment tu vivais la situation. Je constate que tu as bonne mine, tu sembles radieux. Cela me fait plaisir pour toi.

- Ecoute, je ne peux pas te répondre. Pas là, je n’en ai pas la force. Je suis à bout. Je veux dormir.

- Ne t’inquiète pas pour moi. Rendors-toi.

- Je suis désolé de te dire ça, mais il serait préférable que tu partes. Il faut que je dorme, je ne peux rien te dire de plus. »

Mademoiselle B. se lève alors. Elle rassemble ses affaires et se rhabille. Elle revient me voir dans le lit et me susurre un mot (tendre ?) à l’oreille et s’en va. La porte se referme. Je l’entends monter dans l’ascenseur. Je suis soulagé.

Je sais que c’est horrible ce que je viens de faire, mais c’était une question de survie. Cela dit, je n’ai pas le temps d’y penser et m’endors sur le coup.

Lorsque je me réveille quelques heures plus tard, j’ai la gueule bois. 

Cette dernière nuit me terrifie et je m’en veux terriblement. Jamais je n’aurais dû proposer à mademoiselle B. de passer cette nuit avec moi. Sa présence chez moi était d’emblée une ineptie. Un spectre dans la nuit s'était pointé chez moi, à l’improviste, en pleine nuit et dans un état second. J’étais complètement dépassé par les événements et je n’ai pas su évaluer la gravité de la situation. J’aurais dû raccompagner mademoiselle B. à la porte, lui dire de partir, fermement. Cette entrevue nocturne n’avait, de toute évidence, aucun sens. Je ne souhaitais plus continuer avec mademoiselle B. et j’étais persuadé qu’elle avait admis les termes notre rupture lors de notre précédente rencontre. J’étais parti dignement de chez elle quelques jours plus tôt ; je pensais que mademoiselle B. avait compris toute l’affection que je lui portais mais que je ne souhaitais plus la faire souffrir car je souhaitais continuer à faire ma vie avec Victoria. Notre histoire aurait dû s’arrêter là. Au lieu de ça, j'ai tout gâché en provoquant une scène d'amour sordide...

Scotomiser, scotomiser… Au plus vite. Retenir la scène d’adieu magnifique et chasser cette nuit épouvantable de ton esprit

La vie reprend son cours. Je parviens tant bien que mal d’oublier cette entrevue nocturne avec le fantôme de mademoiselle B. Je m’interroge sur ma part de responsabilité : qu’aurais-je dû faire ? Ne pas lui ouvrir ? La renvoyer chez elle ? Ne pas lui proposer de passer la nuit avec moi ? Sûrement tout cela à la fois. J’ai été faible, une fois encore. Je pars en conjectures : peut-être que cette nuit d’apocalypse était nécessaire pour que mademoiselle B. puisse tourner définitivement la page. De toute façon, rien ne sert de me faire des nœuds au cerveau, c’est fait, n’en parlons plus.

Une semaine s’est écoulée depuis cette nuit épouvantable. Je n’y pense plus. Nous sommes le 28 juillet 2020. Dans quelques jours nous partirons en vacances avec Victoria. Ce 28 juillet donc, je me lève de bonne humeur. La journée de boulot ne sera pas trop chargée en ce milieu d’été.

Je bois mon café et avale mon petit-déjeuner en écoutant les matins sur France Culture. Juste avant de partir bosser, je rallume mon téléphone. J’entends la sonnerie de mon téléphone : un SMS. Je regarde distraitement. Mais je remarque que le texto a été écrit en pleine nuit par Victoria. Curieux. Et puis, le tonnerre :

« Ma vie s’écroule à cause de toi. Tu as sous-estimé le pouvoir destructeur des femmes. Je te laisse gérer ta merde en demandant à mademoiselle B. ce qu’elle a fait, vu que tu la vois toujours »

DANGER ABSOLU

Qu’est-ce qu’elle a fait ? Qu’est-ce qu’elle a fait, putain de bordel de merde !

Je manque de tomber en syncope.

Je tente d’appeler Victoria en urgence. Elle ne répond pas. Je me décide à me rendre au boulot. Je tente à nouveau de la joindre. Je lui laisse, en désespoir de cause un message sur son répondeur. Je lui dis qu’il m’est impossible de joindre mademoiselle B., qu’elle a perdu son téléphone. Je lui assure que je ne vois plus mademoiselle B. Effectivement, elle est réapparue dans ma vie. Mais je n’ai pas dévié d’un iota, je voulais que tout cela cesse. 

Isaac, tu ne sais pas même ce que Victoria sait au juste. Et il y a fort à parier que mademoiselle B. lui a tout dévoilé, jusque dans les plus sordides détails. Tu es dans la merde jusqu’au cou. Essaye au moins de savoir ce qu’il y a à gérer…

Je me décide à envoyer un mail mademoiselle B. Je lui demande simplement : « Qu’as-tu fait ? ». Une bouteille à la mer :

» Je ne sais pas ce que tu as fait et visiblement tu t'en es pris à Victoria. C'est inimaginable de ta part. Je suis abasourdi. S'il y a une personne à qui tu dois t'en prendre c'est moi et moi seul.

 Dis-moi ce que tu as fait.

La réponse de mademoiselle B. arrivera peu de temps après :

» Je lui ai demandé de me pardonner. Et je lui ai assuré de ton amour, et de mon absence dans votre histoire. Je ne suis rien, et ne l'ai jamais été.

Putain, mais c’est quoi sa maladie mentale ? Il faut de toute urgence inventer une psychose nouvelle qui portera son nom dans le DSM VI.

Je lui précise à la suite, toujours pas mail, qu’il me semblerait qu’elle ait fait un peu plus que cela. J’en appelle à son honnêteté.

Nouvelle réponse de mademoiselle B., visiblement décidée à battre tous les records :

» Je suis et j'ai toujours été honnête avec toi comme je le suis avec tout le monde, et j'espère que tu me connais assez pour en être persuadé. Je ne suis pas une personne injuste. Il n'y a ni méchanceté, ni diffamations dans mon message ; je ne lui ai ni manqué de respect, ni témoigné agressivité ou malveillance, bien au contraire. Je lui témoigne sympathie et humilité, et l'implore que nous œuvrions à éviter de nous croiser, pour son bien-être et le mien.

Je lui demandais que ce message puisse rester entre nous, et si malgré tout elle a fait le choix de t'en parler, je lui laisse toutefois la liberté de t'en révéler le contenu, partiellement, entièrement ou pas du tout. C'est son droit le plus strict, et ce serait en revanche extrêmement irrespectueux de ma part de te transmettre le mail que je lui ai envoyé, surtout si, comme tu me le dis, elle refuse de te répondre.

Cela étant dit, tu as en réalité les grandes lignes.

Bref, je comprends qu’elle lui a écrit un mail. Elle ne veut pas m’en livrer le contenu. Mais comment a-t-elle eu son adresse ?

Isaac, Victoria a écrit ses coordonnées sur le livre d’or de l’expo de peinture ! Mademoiselle B. les a vues, elle t’en a parlé. Elle en a profité pour récupérer son adresse afin de lui déverser son fiel. Qu’a-t-elle bien pu lui écrire au juste ?

Mademoiselle B. tient sa revanche, à moins que ce soit sa vengeance. Vengeance présentée cyniquement comme un petit secret entre femmes. Un gentil pacte de non-agression qui ne les regarde qu'elles deux.

Isaac, là, elle vient de te bien te baiser. Encore plus salement que tu ne l’as baisée l'autre soir.

Il est l’heure d’aller déjeuner. Une collègue me trouve taciturne pendant le repas. Je confirme que j’ai un gros tracas. Après avoir mangé, je retente de contacter Victoria. Finalement, elle m’adresse un texto en début d’après-midi.

« Rien à foutre qu’elle ne soit pas joignable c’est ton problème. A toi de gérer. Comme un adulte. Regarde ta boîte mail. Parles-en à ta mère de si bons conseils visiblement »

Isaac, ça se corse sévèrement. Pourquoi, parle-t-elle de ta mère ? Qu’est-ce qu’elle vient faire là-dedans.

Je monte en quatrième vitesse dans mon bureau et me connecte à ma boîte mail perso. J’ai reçu un courriel de Victoria. Dont le titre fleuri « ISAAC MES COUILLES » laisse augurer le désastre.

En préambule, Victoria plante le décor :

« Aucun style littéraire (désolé : NON) je ne ferai aucun effort je couche juste mes idées qui me hantent depuis cette nuit d’insomnie

Je « Vous » laisse la prose »

J’y trouve un long texte dans lequel Victoria se dit trahie, par moi, par ma mère et tous nos amis communs à qui j’ai parlé de ma relation avec mademoiselle B. Elle s’attarde précisément sur ma mère avec laquelle elle avait nouée une relation quasi-filiale et qui selon ce qu'elle a lu l’aurait encouragée à la quitter pour faire ma vie avec mademoiselle B. Je suis révolté. Ma mère n’a jamais tenu de tels propos, bien au contraire ! Elle m’a toujours assuré de sa totale loyauté envers Victoria ; elle a simplement écouté son fils et tenté de lui donner des conseils de mère.

En poursuivant la lecture, je vais de Charybde en Scylla :

« […] Et moi qui attendais les vacances avec impatience […] Et au moment où je suis dans un état d’épuisement le plus avancé, à n’en plus pouvoir, pas remise de ton annonce et du COVID et du reste : Le coup de massue,Le coup fatal. […] J’étais en train d’accepter ton écart, ma part de responsabilité peut-être. [..] En tout cas je vois que tu as bien profité […] tu lui as fait une chanson ? c’est le pire pour moi […] Le traquenard (avec capotes LOL) […]»

Bref, je comprends que mademoiselle B. a donné l’accès de son blog à Victoria .

Je suis atterré. J’adresse un nouveau message à mademoiselle B. intitulé « Dégueulasse » :

» Je ne sais pas ce que tu lui as envoyé au juste, mais au vu du message que j'ai reçu de sa part, tu lui as visiblement transmis l'accès à ton blog où les échanges de mails qu'on s'est faits. […]

 Tu es parvenue à saccager ma vie. Tu me diras que c'est de bonne guerre.... Sûrement. Elle me demande de gérer les choses avec toi en adulte mais quoi ? Je n'ai rien à gérer. Je n'arrive pas à penser que tu aies pu faire une chose pareille. Je t'ai toujours respectée et je t'ai fait confiance. Je t'ai eue en très haute estime et t'avais donné parmi les plus belles choses que je pouvais offrir. Ta colère vient de tout faire voler en éclat au même titre que ma vie, mon honneur et la vérité. 

Réponse de l’intéressée, qui consomme son plat froid :

» […] Effectivement, je lui ai laissé la possibilité d’accéder à mon blog si elle le souhaitait [...]. Voilà exactement ce que j'en ai dit :

 « [...] Si tu souhaites découvrir l'histoire que nous avons vécu de mon point de vue, j'estime que tu en as le droit. Il te suffira de chercher le blog de Mademoiselle B., aussi nommé "Ne m'appelez pas madame" (un choix discutable aujourd'hui, mais c'est un peu tard). Je ne pense pas que c'est une bonne idée, mais je t'en laisse le choix.  Tu auras par ailleurs ainsi l'accès à son espace à lui si tu le souhaites. C'est ton droit et c'est ton choix, qu'il me semble important de te donner, quoi que tu décides d'en faire. »

Nos blogs respectifs sont loin d'être des tissus de mensonges, tout au plus pouvons-nous les taxer de subjectifs. […] Avant de prétendre que j'ai sciemment voulu saccager ta vie, rappelles toi que tu lui avais également proposé de lui donner cet accès, du moins au tien.

Elle n’a pas le droit de faire ça. Pas comme ça ! C’est abject !

Elle avait promis de ne pas s’en prendre à Victoria. Tu l’as crue. Tu es vraiment trop con !

C’est vrai que j’ai évoqué l’existence de ces blogs à Victoria (et c’est peut-être cette intuition que je devais lui en révéler l’existence qui sauvera mon scalp, soit-dit en passant). Mais je ne voulais pas qu’elle y ait accès. Du moins tant que je n’avais pas fini mon récit afin de rééquilibrer les points de vue. Et pour cause, j'ai des mois de retard sur la narration de mademoiselle B.

Plus tard, je lui aurais peut-être permis de lire mon histoire, en l’accompagnant dans la lecture, en répondant à ses questions, en mettant de la distance entre le récit et les événements. Cela ne devait concerner que Victoria et moi. Nullement mademoiselle B. Cette dernière n’avait aucun droit de l’interpeller comme elle l’a fait. Encore moins de lui donner accès à sa prose de manière aussi obscène. Elle n’avait aucun droit de lui agiter le torchon rouge de l’humiliation sous le nez, en lui disant, d’un air désinvolte, qu’il serait préférable de ne pas s’en saisir.

Sombre représaille.

De fait, Victoria a passé la nuit à lire nos blogs. Elle a découvert crûment l’ampleur de la supercherie, la description clinique de nos ébats, le ressenti brut de mademoiselle B., la victime expiatoire de la veulerie masculine, dont le dernier avatar en date se nomme Isaac. 

Je tente d’expliquer la situation à Victoria par texto. De lui expliquer la situation, les raisons de mes revirements. Je tente de sauver l’honneur de ma mère, de mes amis, qui n’ont rien à voir dans cette histoire. Lui faire entendre que la vérité n’a rien à voir avec les apparences de la vérité.

Victoria ne veut rien entendre. Elle a tout lu, pris connaissance des moindres détails. Elle se sent humiliée. On le serait à moins.

Isaac, ça sent la catastrophe. Ta vie est sur le point de s’écrouler. Tu as envisagé le polyamour.  Eh bien, finalement tu vas te retrouver seul comme ton pauvre con de père. Tu as tout fait foirer. Tu ne peux t’en prendre qu’à toi-même.

Je dois jouer le tout pour le tout. Je quitte le boulot à 16 heures. J'explique que j'ai un incendie à éteindre de toute urgence. Une collègue me regarde inquiète. Direction chez Nous à 150 bornes de là. Je dois arriver suffisamment tôt pour être à la maison avant qu’elle ne rentre de l’hôpital.

Tout accusé a droit à une défense équitable, voilà c’est ce que je lui dirai lorsqu’elle me trouvera là. Et je tenterai de trouver les mots justes.

Il faut sauver ta vie avec Victoria. Être honnête, être courageux, être humble.

Assumer pour de bon. 

Tout assumer en effet. Mes erreurs, ma faiblesse, mes mensonges.

Ainsi  que l’éventualité que tout s’arrête.

 

Vivre et puis mourir.

                                         

Récit achevé le 17 novembre 2020

Isaac, 40 ans

 

 

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