Le contrepoint d'Isaac : chronique d'une impossibilité amoureuse (acte V-6)

date_range 01 Novembre 2020 folder Isaac et mademoiselle B.

Acte V scène 6 : Isaac ou l’art de ne pas savoir rompre (Chute et rechute - Etait-ce un adieu ?)

Les ruptures amoureuses charrient beaucoup trop d’enjeux intimes et affectifs pour ne pas être chargées de violence. Cela faisait des mois que je tâchais d’éviter d’admettre cette conjecture et je m’accrochais à l’espoir vain de parvenir à trouver une autre manière de rompre, sereine et apaisée. Je souhaitais que la fin de notre histoire amoureuse avec mademoiselle B. apparaisse comme une évidence communément admise par les deux protagonistes, tel un fruit bien mûr qui tomberait spontanément au pied de l’arbre de notre impossibilité amoureuse. J’ai longtemps espéré que mademoiselle B. me quitte d’elle-même en prenant conscience que je ne pourrais pas lui apporter l’amour exclusif qu’elle attendait de moi. La fin de notre histoire aurait pu être le commencement d’une nouvelle ère, débarrassée des oripeaux de la représentation conjugale de l’amour entendu comme projet de vie à deux qui occupait l’esprit de mademoiselle B. Après un moment de deuil, nous nous serions peut-être revus, et nous aurions pu refonder notre relation sous un jour nouveau et fraternel ; elle aurait accepté mon souhait de faire ma vie avec Victoria, elle aurait admis que cela ne retirait rien à l’amour que je lui avais témoigné et que cela ne la mettait nullement en position d’infériorité vis-à-vis de Victoria. Je ne souhaitais simplement pas construire un projet de vie avec mademoiselle B. en dépit du bonheur charnel que nous avions éprouvé l’un avec l’autre. Mon désir de rupture n’avait rien à voir avec ses qualités incommensurables. Mademoiselle B. est définitivement une belle personne qui mérite autre chose qu’une vie sentimentale en pointillés. Mais je n’étais pas l’homme de la situation.

Je devais bien admettre que je m’étais planté sur toute la ligne. La rupture d’un commun accord ne se produirait pas, de toute évidence. Mademoiselle B. devrait faire son deuil, âprement, ce qui impliquait éventuellement qu’elle me haïsse, à tout le moins que je sorte de sa vie. J’étais désormais prêt à accepter les termes de ce contrat. Mais pas de là à accepter que notre dernière entrevue se passe au bas de mon immeuble, sans même pouvoir parler.

Je me suis donc attelé à la rédaction d’une ultime missive, intitulée « Regrets ». Je devais trouver les mots justes, cette fois, tout en tâchant de ne pas retomber dans le piège de l’ambiguïté. Je souhaitais enfin assumer mon choix, ma décision.

» Mademoiselle B,

 ce sera mon dernier message car il est temps avant que l'exercice ne vire à l'aigre ou au grotesque et surtout car j'ai l'obligation de respecter ta volonté.

 Je crois néanmoins qu'il serait utile que l'on arrive à se parler tôt ou tard au moins une fois, ne serait-ce que pour balayer cette scène pathétique devant chez moi.

Ce message devait être une lettre d’excuses mais également, un modeste, testament. Celui de ma sincérité amoureuse. Faute avouée à demi-pardonnée… Du moins l’espérais-je, avec le temps.

» Mais il faut désormais que je te laisse tranquille d'autant que je que je n'arrive pas du tout à maîtriser la manière dont tu perçois mes écrits. […] Et j'ai été stupide de croire que l'on pourrait continuer à s'écrire. Je m'en veux et te présente mes excuses.

 Paradoxalement, tu as bien reçu mes deux premiers messages et tu les as même pris pour une remise en cause de ma décision de mettre fin à notre relation. J'en suis resté stupéfait. Lire dans ta réponse que tu me donnais une chance et que tu acceptais de me revoir, m'a totalement désarçonné même si, je dois l'admettre, cela m'a vraiment fait plaisir. Mais je me suis dit que je commençais à devenir terriblement ambigu et il me fallait remettre les choses au clair. Je dois assumer ma décision et ne pas reproduire l'erreur de l'indécision permanente et insécurisante à laquelle je t'ai tant de fois confrontée. D'où le ton froid voire glacial de mon troisième message. Mal écrit au demeurant, c'est vrai. 

(A la relecture, je n’ai pas trouvé qu’il était si mal écrit cela dit.)

» Par mes premiers messages, j'avais tenté de te donner, avec beaucoup de tendresse, les raisons de ma décision, et te témoigner tout l'amour que je te porte en dépit de la douleur de la rupture. Je voulais que tu comprennes que je ne t'ai pas quittée par absence de sentiments pour toi, bien au contraire. Bêtement j'ai à nouveau ouvert des portes, laissé entendre que notre histoire n'était peut-être pas finie, pourrait s'écrire d'une nouvelle façon et que tu pouvais compter sur moi. C'était stupide. Cela dit, à ma décharge, je le pensais sincèrement et me plaisais à le croire même si c'était totalement débile de ma part. Il me fallait également conjurer la tristesse de te perdre.

 Mais je me projetais déjà dans l'après, je te l'ai toujours dit. Ce qui supposait que l'on parvienne à faire, l'un et l'autre, le travail de deuil de notre relation antérieure. Car elle n'était plus tenable, ni pour toi, ni pour moi. Il est vrai que j'ai évoqué une perspective totalement illusoire de relation polyamoureuse. Mais si tu me relis bien, je l'ai immédiatement refermée en précisant bien que tout cela n'avait aucun sens. 

Je tâchais de ne pas sortir totalement avili de ma tentative de verbalisation d’une hypothèse polyamoureuse aussi grotesque qu’obscène.  Je m’accrochais aux branches : mademoiselle B. n’avait pas voulu lire entre les lignes. Or, je n’avais jamais envisagé sérieusement cette perspective et je l’avais bel et bien écrit. De manière un peu trop subliminale cependant.

Or, ce que je souhaitais en définitive, c'était lui restituer sa liberté de femme.

» Et il n'a jamais été question que je revienne une nouvelle fois sur ma décision en revenant dans ta vie, comme une fleur, pour reprendre tranquillement le cours de ma relation extra-conjugale avec toi et t'enfermer dans une situation de dépendance à ma personne. Pourquoi ? Tout simplement car je ne vois pas ce que tu accepterais aujourd'hui ce que tu n'as pas supporté jusque-là. Et surtout, car en jouant à ce jeu, je t'empêchais de pouvoir tourner la page. Effectivement, tu n'es pas un oiseau en cage qui devrait vivre dans l'attente de mes signaux en ta direction et de mes volontés. Qui serais-je pour t'imposer une telle aliénation amoureuse à sens unique ? 

Après ces quelques lignes d’excuses je tentais un petit détour de philosophie morale. Cette rupture serait sans nul doute notre libération. Elle nous permettrait l’un et l’autre sortir de notre prison morale intenable. 

» En réalité, il ne s'agit ici que de question morale, au sens premier du terme, autrement dit : tout ce qui est possible est-il nécessairement souhaitable ? Non. Définitivement non. […] Car [notre relation] te fait souffrir et elle me fait souffrir. Et elle ne fait que repousser une échéance au risque de la rendre encore plus douloureuse et destructrice. Pour ma part, ma double vie m'a littéralement sucé le cerveau depuis des mois. [...] je me suis donné entièrement dans ma relation avec toi. Mais gérer deux relations en parallèle me demandait une énergie, un sens de la dissimulation, des efforts d'attention qui outrepassaient mes capacités physiques et mentales. Car, il me fallait gérer parallèlement ma relation avec Victoria et je t'ai toujours dit que je ne voulais pas la quitter. Au moins sur ce point, je serai resté constant. 

Je poursuivais en tentant de garder le cap mais je m’embourbais quelque peu dans ma tentative d’autojustification. J’entrais dans une ère de pénitence et moi aussi, j’allais devoir subir les conséquences de cette rupture au prix d’un lourd renoncement intime.

» La situation aurait été différente si j'avais pu mettre des barrières plus étanches entre mes sentiments et la sensation amoureuse que je vivais, si j'avais pu ne pas me laisser griser par la perspective amoureuse que tu m'offrais à un moment où j'étais affaibli par ma crise de couple. Si nous n'avions assumé l'un et l'autre notre relation sans l'envisager sous l'angle d'une possible construction de couple. Tout aurait été différent. C'est en ce sens que je dis que j'ai commis une erreur. Evidemment, l'erreur ce n'est pas toi mais uniquement les conséquences de mes actes, de mes propos ambigus, des fausses espérances que je t'ai données. Mais pour ma défense, je suis incapable de ne pas m'engager corps et âme avec les personnes que j'aime. D'autres y parviennent, savent jouir sans aimer, enchaînent les expériences sexuelles et savent faire la part de choses. Moi, définitivement j'ai compris que je ne savais pas.

 Tes amies disent de moi que je suis lâche et indécis. Sûrement et c'est normal. Mais là justement, je souhaite précisément être courageux, arrêter d'être une girouette et assumer ma décision, contrairement à ce que je n'ai pas su faire en février. Non que cela ne me coûte et ne me fasse mal également. Beaucoup plus que tu ne le penses sans doute. Quitter quelqu'un par amour est beaucoup plus douloureux que l'inverse.

L'aveu à Victoria de notre aventure, je l'ai fait en réalité pour moi en premier lieu. Je devais alléger ma conscience, me libérer du poids de la culpabilité et du mensonge. Je l'ai fait également pour elle afin qu'elle s'interroge sur les causes profondes de notre crise de couple et qu'elle réfléchisse sur le sens profond de son amour pour moi. Et je l'ai fait pour toi enfin, car je voulais te témoigner de cet acte de courage susceptible de me faire tout perdre et te démontrer à quel point tu avais compté pour moi. […] Cela me semblait être la moindre des choses que je pouvais t'offrir, à défaut d'avoir pu être à la hauteur de ton amour.

 […].

Je devais conclure avant de retomber dans mes travers. Assumer mes actes en évoquant crûment la cause profonde de ma décision : 

» Mais il y a Victoria et mon souhait de poursuivre ma vie avec elle...

 Victoria, tu ne la connais pas et tu ne connais rien de notre relation de couple hormis ce que j'ai bien pu t'en dire. Et je regrette amèrement de t'avoir associée stupidement à ma crise conjugale de telle sorte que Victoria est devenue, à tes yeux, la rivale intouchable, et pire encore, ma prison mentale voire le tombeau de mes passions. Est-ce la réalité ? Non. Je ne serais pas masochiste à ce point. Ce que je vis avec Victoria, tu n'en as qu'une vision tronquée et partiale. Oui il y a une dysfonction sexuelle dans notre couple, mais cela aurait dû rester mon problème et pas le tien. Oui elle a du mal à se projeter dans une construction à deux mais le souhaitais-je moi-même ? En tout cas, rien qui ne te permette de porter un jugement sur la réalité de l'amour que je lui porte.

Victoria n'est pas une sainte, une héroïne ou quoique ce soit de cet acabit. Elle doit vivre désormais avec la jalousie elle aussi. Elle vient de comprendre que j'ai eu des sentiments amoureux pour toi et cela la fait souffrir aussi. Elle ne veut pas admettre que je souhaite conserver les traces de ma vie avec toi comme ces tableaux que tu m'as offerts. Elle devra l'admettre. Elle devra vivre avec ton existence dans ma vie comme toi tu as dû vivre avec la sienne.  

Victoria ne méritait nullement d’être tenue responsable de quoique ce soit et ne méritait pas davantage de faire l’objet de sentiments mêlés de jalousie et d’envie. Victoria n’avait rien demandé et ne méritait pas d’être éclaboussée par la situation.

Le seul responsable de cette situation c’était moi et moi seul. Mademoiselle B. a eu le malheur de croiser ma route à un moment de fragilité personnelle liée à la crise de ma vie conjugale. J’aurais dû faire en sorte d’en préserver mademoiselle B., être prudent, beaucoup plus honnête sur mes intentions et surtout infiniment plus pudique. Il me faudrait désormais vivre avec cette faute morale. Il me fallait désormais implorer mademoiselle B. de me tenir pour une unique responsable de la situation et, d’en épargner Victoria.

» J'aurais dû te préserver de tout cela. Et s'il y a eu un connard dans cette histoire, c'est moi et moi seul. 

 Alors, maintenant, il faut entrer dans une nouvelle ère. Celle du deuil, de l'oubli et de la résilience. Et j'espère que tu parviendras, tôt ou tard, à ne plus m'en vouloir. A défaut de me pardonner. 

 Une seule chose importante pour finir : je n'ai qu'une parole. Ton tableau lucioles sera l'affiche de mon groupe. Car c'est l'illustration que j'attendais et elle dépasse mes espérances. [...]

 Je n'ose t'embrasser mais le fais quand même, avec tout mon amour, sincère et entier.

Mademoiselle B. ne répondra pas à ce message.

J’en fus, dans un sens, soulagé après avoir attendu plusieurs jours, fébrilement, sa réponse. Elle ne viendrait pas. Je venais enfin de clore mon aventure avec mademoiselle B. J’avais tenu bon, évité cette fois-ci de tomber dans le piège de l’ambiguïté. Je touchais à la fin de mon roman amoureux d’un quadragénaire en crise.

Manque de bol, un petit détail, presque grotesque, allait tout faire capoter.

Un soir, je reçus un texto sibyllin.

« Pour info, ta donation est soumise à des droits s’élevant à 60%. Je dois désormais 3000 € aux impôts »

Comment ça ? Panique à bord.

Recherches sur internet en urgence et confirmation de la mauvaise nouvelle : seules les donations en provenance de membres de la famille proche bénéficient d’un régime fiscal avantageux. Aider sa maîtresse à finaliser sa salle de bain laissait l’administration fiscale de marbre et ce n’était pas considéré comme un motif de générosité légitime. Même pour 5000 €, un tel acte de solidarité était soumis à des taux d’imposition confiscatoires. J’en fus consterné. Doublement. Premièrement, car cela signifie qu’il n’est pas possible de venir en aide à un proche dans le besoin dans notre pays, autrement que de manière clandestine. Deuxièmement car même ça je n’aurais pas été capable de le faire correctement. Ma manie de vouloir tout faire dans les règles en respectant les lois de notre belle patrie républicaine. A ma défense, je ne suis pas un spécialiste de droit fiscal. Mais quand même, une erreur de débutant comme celle-là, c’était impardonnable.

Ma donation s’apparentait à un demi-cadeau empoisonné. Certes, sur les 5 000 balles de départ, il lui en resterait quand même 2 000, ce qui demeure une belle somme. Mais il y avait fort à parier qu’elle avait pris des engagements vis-à-vis des artisans sur la base de la somme initiale. N’ayons pas peur des mots, j’aurais été pitoyable jusqu’au bout.  

Je renvoyais donc une réponse à mademoiselle B. pour lui indiquer que j’étais prêt à résoudre le problème mais que, pour ce faire, il fallait que l’on s’appelle. Réponse de l’intéressée :

« Non ».

Dont acte. Fin de l’histoire, donc.

Pas encore, malheureusement.

Car quelques jours plus tard, mademoiselle B. m’envoya ce message assez austère et presque accusateur :

» Après mûres réflexions, je reviens vers toi au sujet de cette maudite donation. 

J'ai respecté ma part de notre engagement, réalisant 3 travaux, 2 toiles et 1 collage. Je t'ai demandé solennellement si nous étions quittes, et tu m'as affirmé que j'avais rempli ma part du contrat.

 Cependant, notre arrangement initial est tronqué puisque les impôts récupèrent 60% de ta donation. Je suis au passage particulièrement énervée par le fait que plus de la moitié de ce que tu veux donner (argent que tu as honnêtement gagné et sur lequel tu as déjà payé des impôts) est ponctionné par l'état. Sans compter les impôts que je paierai dessus l'année prochaine. Visiblement, personne n'a vraiment le droit de faire ce qu'il veut de son argent, ni de le donner. 

(Cela dit, me fis-je in petto, n’oublie pas que c’est le principe même de l’impôt républicain que de contraindre les individus à participer à l’effort collectif de la Nation. C’est ce qui finance les routes, les écoles, les hôpitaux et la bibliothèque qui t’emploie. En outre, si les donations ne donnaient pas lieu à prélèvement fiscaux, ce serait l’autoroute pour le blanchiment d’argent sale… Certes, ça fait mal au cul)

» Cela dit, peut-être pouvons-nous tout simplement nous rétracter, et annuler cette donation, et les frais gargantuesques qu'elle entraine, et qui ne sont ni à mon avantage, ni, je pense, au tien. Je te restitue la somme, que tu me verses sous une autre forme, afin que nous ayons chacun rempli notre part du contrat. 

Et qu'enfin, nous puissions sortir définitivement de nos vies respectives sans rajouter de nouvelles ruines fumantes.

Dans un premier temps j'y ai vu la conclusion familière d'une situation déjà expérimentée, où je ne récolte que miettes et déceptions. Je t'en veux de cet excès de confiance en tes connaissances qui t'as empêché d'aller vérifier ce qu'impliquait pour moi l'officialisation de cette action, et je m'en veux de t'avoir fait confiance et de ne pas avoir été vérifier par moi-même ce qu'impliquait cet acte officiel.

Sauf que ça doit cesser. J'ai assez ramassé dans notre histoire, et j'en ai assez de me retrouver continuellement désappointé, déçue, ou plus mal que si on ne s'était pas rencontré. Ce n'est pas juste. J'ai respecté ma part du contrat. Es-tu prêt à respecter la tienne jusqu'au bout ? »

Mademoiselle B. était assez féroce sur le coup-là. Passons sur le fait qu’elle m’ait prêté à demi-mot une intention malveillante dans cette tentative de mécénat grotesque, mais il ne fallait pas exagérer quand même. Il lui restait quand même une belle somme équivalant à plus d'un mois de son salaire. De plus, de quel droit mettait-elle en cause ma parole ?

Quoiqu’il en soit, il me fallait trouver la solution pour réparer les conséquences de mon dilettantisme. Et sortir par le haut de cette sombre histoire de pognon qui nous empêcherait de tourner la page.

Je me fendis à contre-cœur d’une réponse un peu désabusée, un peu irritée. En résumé, je me confondais en excuses d’avoir été une nouvelle fois une source de déceptions mais cette fois-ci je ne comptais pas faire profil bas. Elle m’attaquait sur ma probité, je savais avoir un peu de répondant.

» Cette histoire de donation est sûrement l'initiative la plus calamiteuse que j'ai pu prendre dans ma vie mais je te prie de croire qu'elle partait d'un réel bon sentiment. Cela dit, à ce niveau de grotesque, je préfère en rire.

Je lui proposais deux solutions pour résoudre le problème : soit transformer la donation en prêt, ce qui impliquait de faire de nouvelles démarches administratives, qu’elle s’engage à me restituer la somme et que finalement je lui rétrocèderais au black. Ou laisser les choses en l’état et lui verser la part ponctionnée par l’Etat en argent liquide qui tomberait comme par magie dans sa boîte aux lettres. Ce qui signifiait quand même que de 5000 € ma donation s’élèverait au total à 8000 €. L’ardoise devenait foutrement salée. Mais il fallait en finir. Je lui laissais le choix des armes.

Piquant pour piquant, je finissais mon message de la sorte :

» Puisque j'ai l'opportunité de t'écrire, je souhaite également te restituer ton cadeau, à savoir le séjour dans cet hôtel de luxe. Ce cadeau t'appartient et je ne peux pas accepter que tu ne puisses en jouir à ta convenance, d'autant qu'il a une certaine valeur tant matérielle que symbolique. Je te restituerai donc ton cadeau, cela n'est pas négociable. Libre à toi d'en faire ce que tu veux. Le jeter ou, peut-être mieux, l'offrir à une personne que tu aimes, par exemple ta mère ou qui que ce soit d'autre. Voire en profiter si tu peux faire abstraction de celui qui te l'a offert.

 La fin de mon message devenait nettement plus scabreuse. Ce n’était pas le moment mais je n’avais pas le choix :

» Dernière chose, un peu plus délicate. Victoria vient me rendre visite chez moi ce week-end et nous comptons aller dimanche matin au brunch du salon de thé. Je sais que ce lieu est hautement symbolique pour toi et j'aurais préféré ne pas mais elle a fait les démarches dans son coin. Si tu avais prévu d'y aller, préviens-moi et je ferai en sorte d'annuler.

 Je suis vraiment désolé pour tout et aurais souhaité que les choses évoluent différemment. Bref je ne vais pas en rajouter. Cela dit, tu peux compter sur moi, je respecterai mes engagements.

Evoquer la venue de Victoria dans ce message pouvait sembler obscène et inutilement provocateur. Mais Victoria s’était mis en tête de faire des efforts pour partager les trajets de week-end dans notre nouvelle vie. J’approuvais sa démarche et me réjouissais de l’accueillir chez moi pour nous occuper de mon appartement récemment acheté, aller dans un club jazz assez génial le samedi soir et finir en beauté par un brunch le dimanche midi. Victoria était redevenue ma priorité de vie. Sur ce point, je ne comptais pas dévier d’un iota.

Mais la ville est petite et le risque d’y croiser mademoiselle B. n’était pas négligeable, d’autant que le salon de thé en question est l’un de ses endroits favoris.

Je voulais simplement prévenir mademoiselle B. qu’il serait préférable de ne pas l’y croiser au même moment. Au risque de vivre un moment particulièrement malaisant. Pour tout le monde.

S’ensuivirent quelques escarmouches puériles par mails interposés. Morceaux choisis :

Mademoiselle B. en mode victimaire :

» Visiblement tu ne peux pas t'empêcher de me parler de vous, encore maintenant, et me montrer que la femelle alpha marque son territoire dans la ville - et ce qui était l'endroit préféré - de sa rivale. Je n'ai en aucun cas le droit de vous interdire d'y aller, ni d'effectuer une garde partagée de ce lieu que j'adorais. Je n'irai donc pas. 

 Réglons juste cette histoire de donation. »

Elle prêtait à Victoria l’intention de marquer son territoire ? En pissant aux quatre coins de la ville peut-être. Franchement, cela frisait le délire.

Isaac en mode indigné :

» Je t'ai prévenue pour éviter le désagrément de t'y trouver en notre présence car cela m'angoissait pour elle comme pour toi. Mais finalement la scène ne manquerait pas de panache. Peut-être qu'en vous rencontrant, vous vous rendriez compte que vous avez beaucoup de choses en commun, dont celui d'éprouver des sentiments débiles pour un connard. »

Il fallait que cela cesse avant que la situation ne vire à l’aigre. Pour la première fois, je pris mon courage à deux mains et lui laissai un message très sec sur sa messagerie. En substance, je refusais de continuer cette mascarade épistolaire sans queue ni tête. Nous devions nous revoir pour régler cette sombre histoire d’argent. C’était nécessaire pour tourner la page. J’attendrais donc qu’elle me fasse signe.

Je reçus la réponse par texto le lendemain. Mademoiselle B. m’indiquait qu’elle ne parvenait pas à m’appeler mais qu’elle n’avait pas l’intention de se disputer avec moi. Soit. Elle était terriblement mal à l’aise avec cette donation et me laissait la possibilité de revenir sur ma proposition. Si toutefois, je souhaitais aller au bout de la démarche, elle proposait de déposer la paperasse dans ma boîte aux lettres. Il fallait régler la chose au plus vite car elle angoissait à n’en pas fermer l’œil de la nuit.

Je lui répondis que je ne comptais nullement me défiler. J’avais des propositions à lui faire pour régler au mieux cette sombre affaire, mais il fallait que je lui en parle, de vive voix. Je lui proposais de venir chez moi le lendemain. Je voulais ardemment qu’on sorte la tête haute de cette histoire.

C’était impossible de sortir la haute de cette histoire, me répondit-elle. Mademoiselle B. souffrait dans sa chair. Nos échanges de mail, les montagnes russes émotionnelles, le chagrin de la rupture, tout cela la bousillait. Mais elle tâcherait de venir sans savoir si elle aurait la force de monter.

Le lendemain à l’heure dite de sa venue, je suis descendu de chez moi et me suis posé dans le square qui donne sur mon immeuble. Je guettais la venue de mademoiselle B. Je souhaitais venir vers elle et l’aider à surmonter l'épreuve de notre dernière entrevue.

Au bout d’une vingtaine de minutes, alors que je commençais à ne plus trop y croire, j’ai vu sa petite auto blanche s’arrêter sur le parking devant chez moi. Mademoiselle B. ne se décide pas à sortir de sa voiture. (Qu’est-ce qu’elle fabrique ?) Je me lève et m’approche de sa voiture. Elle ne m’a pas vu venir. Je toque contre sa vitre. Sursaut, mademoiselle B. me regarde avec des yeux effarés. Son regard m’effraye.

Mademoiselle B. n’a pas le choix, elle est contrainte de sortir. Elle me suit sans dire un mot. Nous prenons l’ascenseur ensemble. Le temps semble infini, nous ne nous regardons pas.

Arrivés chez moi, mademoiselle B. déballe la paperasserie à transmettre à l’administration fiscale. Je lui expose ma proposition : nous transformons la donation en prêt, mademoiselle B. me remboursera à sa convenance, et je m’engage à payer directement les artisans sur présentation de la facture. Marché conclu. Nous signons les papiers.

Mademoiselle B. est tremblante, littéralement choquée par l’épreuve. Elle veut en finir, partir au plus vite. Mais je souhaite la retenir. Je veux que nous parlions. Afin d’effacer cette scène pathétique au bas de mon immeuble quelques jours plus tôt. Qu’elle comprenne que je n’ai jamais voulu lui faire de mal, même si c’est ce que j’ai fait au final. Ou tout au moins qu’on ne se quitte pas fâchés.

Je tente de paraître calme. Je voudrais tant qu’elle se détende, qu’elle accepte de parler sereinement. Je commence par lui redonner son cadeau. Elle refuse mais j’insiste. Ce n’est pas négociable, ce cadeau lui appartient.

Isaac, c’est le moment où jamais...

J’initie la discussion.

Je lui demande si elle ne retient que les aspects négatifs de notre relation ?

Mademoiselle B : Oui

Isaac : Pas moi en tout cas. La situation me fait souffrir aussi

Mademoiselle B. Tu as fait ton choix

Isaac : Un choix rationnel mais mes sentiments sont intacts

Mademoiselle B : Ça m’est égal

Le reste est à l’avenant…

Tentative de justification de ma part : je reviens sur nos échanges de mail, sur la raison de la venue de Victoria (rien à voir avec une volonté de l’humilier) etc …  La discussion tourne en rond et me mène dans une impasse.

Isaac, il faut que tu trouves un moyen de rebondir, vite ; il faut la prendre de court, sans quoi elle va se lever et partir.

Je lance une proposition totalement hardie :

« Souhaiterais-tu rencontrer ma mère ? »

Je sais que je dis une énorme connerie. Je suis moi-même ébahi par mon audace. A quoi bon lui faire une telle proposition ? De toute façon, jamais ma mère n’accepterait une telle entrevue. Mais mademoiselle B. m’avait dit à plusieurs reprises qu’elle aurait souhaité la rencontrer. Elle semblait assez fascinée par ma mère. Je voulais lui faire plaisir.

Mademoiselle B. rejette sèchement la proposition en m’adressant un regard ahuri. Je suis soulagé par sa réponse. Je ne sais vraiment pas comment je me serais dépêtré de la situation si elle m’avait dit oui.

Isaac, ressaisis-toi ! Arrête avec tes promesses d’ivrogne, t’es con ou quoi !

Nouvelle tentative :

« Souhaites-tu qu’on se revoie ou que je t’apporte mon soutien en cas de besoin

- A quoi bon ? Pour continuer à nous faire du mal ? Je n’attends plus rien de toi

- Oui c’est vrai, tu veux prouver au monde entier que tu peux y arriver seule.

Putain Isaac, tu veux la faire partir ? Trouve autre chose, sors de ce registre, ça ne mène à rien !

Je change d’angle d’approche :

« Au fait, j’ai lu ton dernier article de blog qui parle de ta mère et de ton oncle. J’ai été très touché de voir que ta mère te conseille la même chose que moi. Si tu as besoin de mon aide, pour envoyer la lettre ou quoique ce soit, tu peux compter sur moi.

- Je n’ai pas besoin de ton aide. De toute façon tu découvriras dans de prochains articles que ma lettre est partie. »

Là elle m’a scotché la mademoiselle B. Pour la première fois, elle me dit quelque chose qui me ravit.

C’est pas mal. Allez enchaîne Isaac !

« Veux-tu que j’arrête mon blog ?

- Pourquoi je te demanderais ça. C’est ton histoire »

Isaac, il faut que tu lui fasses plaisir, bordel !

« Je n’ai qu’une parole, ton tableau servira pour mon affiche de groupe.

- Je ne veux pas y croire, j’ai peur d’être déçue.

- Tu verras je suis un homme de parole.»

Je dois me rendre à l’évidence, j’ai épuisé tous les sujets de discussion. Je ne peux pas la retenir plus encore. Mademoiselle B. se lève, remet son manteau.

Isaac, tente le tout pour le tout ! C’est la dernière fois que tu la vois.

« Est-ce que tu veux qu’on se prenne dans nos bras ? »

Mademoiselle B. me regarde avec un air effarouché. Je me tiens devant elle pendant plus d’une minute. Elle ne bouge pas, continue de me regarder fixement. Et puis finalement elle se précipite vers moi. Elle se met à pleurer de longs instants dans mes bras. Je ressens un bonheur immense à ressentir son petit corps contre le mien. Je ne tente rien d’impudique. Finalement, c’est elle qui se met à m’embrasser.

Prodigieuse et voluptueuse rechute.

Nous sommes dévorés par une passion torride, comme au premier jour mais cette fois avec l’énergie du désespoir. Je sais au fond de moi que ce sera sûrement notre dernière rencontre. Après cela, tout sera fini. C’est quand même mieux de se dire adieu en faisant l’amour plutôt qu’en se faisant la guerre. 

Je m’aventure sous ses vêtements, tandis qu’elle prend un plaisir à retirer ma chemise. Nous nous déshabillons dans mon salon pendant de longues minutes. Au bout d’un temps, je la soulève et la transporte dans ma chambre, coincée sur mes hanches. Je la dépose délicatement sur le lit. Nous faisons durer les préliminaires, et multiplions les postures amoureuses. Nos corps sont devenus des terrains de jeu érotique dont nous avons su percer avec le temps les secrets du plaisir.

Nos étreintes sont belles, puissantes, passionnées. Cela dure des heures. L’amour avec mademoiselle B. comporte une dimension surnaturelle, quasi-mystique.

Cela va me manquer. Terriblement.

Après l’amour, nous restons de longues minutes sans dire un mot. Puis je me lève et j’apporte une crème brûlée à mademoiselle B. Je sais qu’elle n’a pas mangé avant de venir. Nous papotons ensuite quelques minutes dans le salon, tendrement, sans anicroches. Je lui demande ce qu’elle veut faire.  Elle me répond qu’elle va rentrer chez elle. Elle se rhabille. Je la serre contre moi et finalement la libère.

Je ne souhaite nullement la retenir. Son départ est logique, souhaitable même.

Elle franchit le seuil de ma porte et se poste devant l’ascenseur. Je la suis du regard et lui envoie un baiser avec la main. Elle entre dans l’ascenseur et disparaît.

Sublime adieu. Happy end ?

Presque…

« Isaac, tu as été bon sur ce coup-là. Tu vois c’est pas si compliqué !

- Je ne sais pas où j’en suis. Je pense que je viens de faire une bêtise. Mais je dois avouer que je préfère garder en mémoire cette scène d’amour pour nos adieux. »

- Était-ce un adieu ? »

Pas si sûr. Quelques minutes plus tard, j’envoyais un petit texto à mademoiselle B.

« Je brûlais d’envie de te retenir »

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