Le contrepoint d'Isaac : chronique d'une impossibilité amoureuse (acte V- 1)

date_range 12 Août 2020 folder Isaac et mademoiselle B.

Acte 5 scène 1 : Isaac ou l'art de ne pas savoir rompre (1ère tentative)

 Mon aventure avec mademoiselle B. a mal fini. Je ne souhaite pas m’appesantir sur les circonstances de notre rupture. Je laisserai à mademoiselle B. le soin de détailler dans son propre blog, en toute subjectivité, les événements qui ont entraîné la fin de notre histoire et la manière dont celle-ci s’est déroulée à ses yeux. Et le lecteur pourra juger de ma coupable lâcheté, de mes errements moraux ou pis encore.

Foutaises ! Je vais au contraire entrer dans le détail, faire parler ma conscience, présenter les événements dans toute leur vérité nue. La vérité nue d'Isaac.

Je résumerais la situation, de mon point de vue, assez laconiquement. Très vite j’ai acquis la certitude que je ne souhaiterais pour rien au monde quitter Victoria. Pour des raisons qui m’appartiennent et qui tirent leur essence dans l’amour que je porte à cette femme, sa beauté et son intelligence, pour notre incomparable compréhension mutuelle et peut-être, plus prosaïquement, car je suis persuadé que c’est la seule femme qui puisse me supporter dans le cadre d’une relation conjugale. Certes, ma vie avec Victoria comporte ses zones d’ombre et singulièrement une chute de désir qui m’a ébranlé au tournant de la quarantaine. Mais l’amour est un moteur vital qui ne se résume pas à la seule passion charnelle, au sexe ou à des illusions de vie à deux. La vie de couple c’est aussi et surtout de l’amour concret. Une union affective qui s’enracine dans le temps et transforme les protagonistes.

Cela ne retire rien à ce qu’a pu m’apporter mademoiselle B. L’incroyable incandescence passionnelle de notre aventure, la puissance symbolique des cadeaux qu’elle m’a offerts et son extrême munificence amoureuse. Mademoiselle B. m’a offert ce renforcement narcissique, ce réveil de la passion amoureuse dont je me sentais privé. A aucun moment je n’ai minimisé la valeur de son amour et de ce qu’elle m’a apporté pendant ces quelques mois de relation commune. Mais je n’ai jamais pensé que la puissance extatique de nos étreintes, la prose passionnée de nos échanges épistolaires avaient, dans mon esprit, quelconque valeur d’engagement conjugal avec elle.

Le couple est une équation amoureuse qui comporte de nombreux autres paramètres, parfois terriblement prosaïques, et qui s’éloignent de la représentation fantasmée de l’amour passionnel qui se transformerait comme par enchantement en construction de vie à deux. Je détaillerai peut-être ce point de vue un autre jour. Toujours est-il que la représentation du couple que m’avait exposée mademoiselle B., synonyme à ses yeux d’engagement total, de transparence intégrale, mais également de construction domestique, ne correspondait nullement à ma propre représentation de la vie à deux. D’ailleurs nous avons eu l’occasion, très tôt, d’en convenir.

Pour autant, je ne renierais nullement l’amour sincère et véritable que j’ai éprouvé pour mademoiselle B. Je l’ai aimée, intensément, mais d’un amour essentiellement érotique et au demeurant teinté de culpabilité. Je me sentais coupable de lui faire endosser le rôle de femme de l’ombre et pire, de laisser entrevoir une issue heureuse à notre histoire, d’avoir moi-même donné sans compter dans cette relation, attitude qui ne pouvait être interprétée par mademoiselle B. que comme une preuve édifiante de mon souhait d’engagement. Mademoiselle B. a joué son va-tout, m’a gratifié de son potentiel d’amour inextinguible afin de faire pencher la balance de son côté en acquérant le monopole de ma passion amoureuse. Malheureusement les dés étaient pipés. Car je n’ai jamais envisagé de faire ma vie avec elle-même au plus fort de ma crise avec Victoria. Trop de choses nous éloignaient, mademoiselle B. et moi. En réalité, tout ce qui constitue, à l’inverse, le ciment de ma relation avec Victoria. Cruel. Assurément. Car ce n’est pas rien de renoncer à un amour offert de manière aussi sincère et entière.

Par conséquent, dès lors que je m’étais résolu à l’idée que je souhaitais continuer à construire ma vie avec Victoria, il ne me restait qu’une seule alternative. Continuer ma relation extra-conjugale avec mademoiselle B. mais dans un cadre assumé de clandestinité Ou rompre. La première option ne comportait pas que des inconvénients. Nous aurions pu continuer notre petit bonhomme de chemin, synonyme au demeurant de sexualité épanouissante mais également petits bonheurs à l’occasion de nos temps de vie partagés. Mais elle comportait l’immense inconvénient de me confronter à un problème éthique insupportable. Je ne pouvais pas, je n’avais pas le droit même, d’imposer à mademoiselle B. de jouer éternellement le rôle de femme de l’ombre. Je la privais de sa liberté et l’enfermais de surcroît dans une aliénation amoureuse qui l’empêchait de construire sa vie, de la façonner à l’image de ses désirs de femme, ou du moins de ceux qui habitaient son imaginaire. 

Parallèlement, la situation devenait de plus en plus acrobatique vis-à-vis de Victoria. Elle n’était au courant de rien et je redoutais le moment, inévitable, où elle ne finirait pas découvrir le pot-aux-roses. Au demeurant mon mensonge flirtait dangereusement avec l’irrespect pour sa personne. Passe encore que j’eusse une aventure extra-conjugale avec une femme dans un contexte de crise de notre couple. Cela elle pourrait le comprendre voire admettre qu’elle m’avait plongé dans un état de frustration sexuelle. Mais entretenir une double vie alors même qu’elle avait opéré son aggiornamento et qu’elle m’offrait pour la première fois des gages sérieux d’amour ? Ce n’était plus possible.

La situation me rongeait. Plus que cela, elle me suçait littéralement le cerveau. J'avais le sentiment de ne plus avancer sur aucun de mes projets de vie. En particulier, mon projet de bouquin état au point mort depuis des mois car je n’arrivais plus à trouver une soirée de solitude pour m’adonner à l’écriture. Mais surtout je n'avais plus aucune disposition mentale pour m'y atteler. Idem du côté de la musique, mon groupe ne parvenait pas à trouver des dates et à faire progresser le projet. Je commençais à lâcher prise et cela m'effrayait.

En réalité, dès le lendemain des fêtes de fin d’année, je m’étais résolu à me recentrer sur ma personne et à mettre fin à une situation qui devenait malsaine d'autant qu'elle était inéluctablement vouée à finir mal. Ma relation avec mademoiselle B. devait cesser. Pour elle, pour moi, pour notre santé mentale à tous les deux. Facile à dire ?

Toute rupture est chargée de violence. Violence symbolique je précise. Quiconque a été quitté un jour a vécu ce sentiment de déréliction extrême, cette blessure narcissique profonde souvent vécue comme une terrible humiliation.

Mais quitter quelqu’un n’en est pas moins violent.

On a pu me reprocher à maintes reprises mon manque d’empathie ou de sensibilité, c’est sûrement exact. Pour autant je ne supporte pas l’idée de faire souffrir quelqu’un. A fortiori une personne qui m’aime. Toutefois dans ma vie amoureuse, je n’ai jamais su endosser la responsabilité des ruptures. Parfois celle-ci m’étaient imposées et j’ai souffert. Mais le reste du temps, alors même que je souhaitais que la relation cesse, je m’arrangeais pour que la décision de mettre fin à notre aventure incombe à l’autre.

Pusillanimité. Rejet des responsabilités. Lâcheté typiquement masculine me dira-t-on. Peut-être. Toujours est-il que je ne n’ai jamais su rompre proprement avec une femme. Pas par cruauté, mais simplement parce que la peine dans le regard de l’autre me fait fondre, surtout quand c’est moi qui l’ai causée.

Cela dit j’en suis conscient. Avec mademoiselle B. j’ai tenté de faire au mieux. En réalité je m’y suis pris comme un pied et mes précautions et mes ambiguïtés coupables, n’ont fait qu’empirer la situation.

Dans un premier temps, je me suis mis en tête que la décision de rupture devait incomber à mademoiselle B. En effet, quel intérêt avais-je de précipiter la fin ? Après tout tant qu’elle restait gérable, autrement dit, tant qu’elle n’empiétait pas sur ma vie avec Victoria, ma relation avec mademoiselle B. n’était pas déplaisante, loin s’en faut. Certes, je devais négocier fréquemment avec mon gendarme moral intérieur, mais j’aimais vraiment le temps passé en sa compagnie. Et après tout c’est mademoiselle B. qui répétait à l’envi sur son blog que la situation l’angoissait et lui devenait insupportable. Si tel était le cas, il me semblait logique que ce soit mademoiselle B. qui se résolve à l’idée de mettre fin à notre histoire. Et qu’elle me quitte pour faire sa vie. En gardant pour elle, éventuellement, les meilleurs souvenirs de nos neuf mois passés ensemble.

J’ai donc changé d’attitude à partir de notre retrouvaille de lendemains de fêtes au cours de laquelle nous avons eu notre première véritable mise au point. Je lui ai fait comprendre que je tenais à Victoria et que ma vie de couple continuerait à se faire avec elle. Et j’ai continué par la suite à évoquer ma vie avec Victoria en présence de mademoiselle B. Néanmoins, je ne lui parlais pas de Victoria à dessein par quelconque plaisir sadique. Simplement, quand dans une discussion une situation me renvoyait à elle, je ne faisais pas d’effort d’autocensure. Victoria faisait partie de ma vie, j’avais été clair sur ce point et mademoiselle B. devait en prendre conscience. Cependant à partir d’un moment, la simple évocation du nom de Victoria est devenue un véritable supplice pour mademoiselle B. Je n’avais pas pris la mesure du degré de jalousie qu’elle nourrissait à son encontre et j’en fus assez médusé. Au lieu de s’en prendre à moi, mademoiselle B. cristallisait tout son désespoir amoureux sur celle qu’elle voyait comme sa rivale. J’avais beau lui dire que Victoria n’était pour rien dans la situation, mademoiselle B. s’est enferrée dans une sorte de haine mâtinée d’admiration irrationnelle pour l’autre femme.

Parallèlement, j’ai commencé à être beaucoup moins conciliant, voire plus âpre, dans les échanges. Ses prises de position animalistes, son rapport naïf à l’écologie et à la politique m’agaçaient et je lui faisais remarquer. Jamais méchamment, toujours en argumentant, mais en déployant sans concessions mon arme de guerre rhétorique dont je suis passé maître.

Nous avons également eu quelques accrochages à propos du mensonge et de l’honnêteté. Une discussion qui a précédé mon aveu de lecture de son blog. Je lui fis part de mon profond désaccord à propos de sa vision de l’honnêteté. Mademoiselle B. estime que la transparence est une vertu cardinale et non-négociable entre deux personnes qui s’aiment. Une condition sine qua non à la confiance que l'on peut placer dans l’autre. Je considère à l’inverse que le mensonge est un dispositif humain tout à fait nécessaire, voire normal et qu'il est moralement défendable lorsqu’il est utilisé pour préserver l’autre. Notez bien que je distingue fondamentalement mensonge et tromperie. Par exemple, doit-on blâmer l’entourage de Pierre Desproges qui lui a caché qu’il avait un cancer incurable afin qu’il puisse vivre sa passion jusqu’au bout alors qu’il était condamné ? Doit-on blâmer les parents qui mentent à leurs enfants à propos du Père Noël ? Vaste question éthique. 

En réalité, mademoiselle B. entretient un rapport quasi-névrotique à l’honnêteté, lequel passe à ses yeux par une obligation de transparence totale entre deux conjoints. Je contestais vivement ce point de vue. L’individu doit conserver une part d’ombre pour préserver son intimité et la vie privée est un sanctuaire dont tous les aspects n’ont pas à être dévoilés, sans quoi il cesse d’exister en tant qu’Homme libre. Je faisais remarquer que la recherche de la transparence intégrale des individus procède d’une démarche totalitaire, autrement dit une négation de l’individu en tant qu’entité singulière et autonome. Le couple ne saurait échapper à cette conjecture sans quoi, il se transformerait en véritable prison mentale. Je ne pense pas être parvenu à la convaincre sur ce point.

D’autres sujets de discorde plus directement liés à la vie de mademoiselle B. sont également apparus rapidement. Sa relation à sa meilleure amie #Copine 1 notamment.

Je ne doute nullement de l’amour sincère (au sens amical du terme) qu’éprouve #Copine 1 à l’endroit de mademoiselle B. Mais j’observais, non sans agacement, une situation de déséquilibre flagrant dans la relation d’amitié qui unissait les deux femmes. #Copine 1 est l’archétype de l’enfant gâtée qui n’a jamais connu d’épreuves de vie. Elle est belle, intelligente et a réussi à construire sa vie sans rencontrer beaucoup de difficultés, sans prendre trop de risques cela dit, car cela l’aurait peut-être contraint de se remettre en cause et de descendre de son piédestal. Elle se croit supérieurement intelligente et a construit sa vie autour d’un hédonisme viscéral assez fascinant. L’amour est au centre de sa vie, selon ses dires, et se vit comme une polyamoureuse existentielle. Elle joue de son sex-appeal comme d’une arme de guerre et rencontre un succès assez sidérant auprès des hommes, de telle sorte qu’elle a été capable d’imposer des relations multiples à tous ses amants.

Je commençais à entretenir des relations assez tendues avec cette #Copine 1. C’était certes la conjointe par intermittence de mon ami Sylvain et je la respectais comme telle mais je commençais à ne plus trop supporter qu’elle fasse en sorte de nous empêcher, Sylvain et moi, de nous voir. #Copine 1 me voyait clairement comme une sorte de rival : l’ami intime de son homme avec lequel j’avais des discussions éthylo-philosophiques enflammées qu’elle ne pourrait jamais avoir avec lui et qui l’amenait surtout à s’interroger sur le sens leur relation amoureuse, brinquebalante au possible.  Et, de surcroit, l’amant de sa meilleure amie, mademoiselle B., son âme sœur vis-à-vis de laquelle elle estimait devoir jouer un rôle protecteur légitimé par une forme de supériorité morale inhérente à son statut de femelle alpha persuadée d’avoir découvert la pierre philosophale de l’art de vivre. Du moins le pensait-elle. En réalité, #Copine 1 me voyait comme un danger. Car je réduisais l’emprise qu’elle avait patiemment construite sur les deux êtres les plus chers de sa vie. Elle ne supportait pas que mademoiselle B. lui échappe et plus grave, la voie, à travers mes yeux, telle qu’elle était. Une amie sincère et dévouée pourvu que mademoiselle B. ne s’aventure nullement à chercher à lui faire de l’ombre ou à douter de sa superbe.

Un soir de janvier, #Copine 1 s’est mis en tête de m’expliquer la vie. Elle m’a invité chez elle pour parler de ma relation avec mademoiselle B. J’ai répondu avec plaisir à l’invitation car cela m’intéressait de pouvoir lui faire part de mon point de vue sur la situation. J’estimais que cela permettrait par ailleurs d’enterrer la hache de guerre entre nous. Et puis régler un petit problème concernant le batteur de mon groupe qui s'était répandu auprès d'elle, et que je voulais virer depuis des mois. Ce que j'ai fini par faire.

Je voulais cependant en premier lieu entendre son avis sur notre relation afin d’éclairer mes propres décisions à venir. Après tout, elle la connaissait bien et avait de une riche expérience de vie en termes de relation polyamoureuse. Las, la discussion n’a guère été qu’un exercice d’enfoncement de portes ouvertes. En gros, nous ne nous sommes rien dit ou presque pendant une heure. La discussion s’est interrompue quand mademoiselle B, au demeurant terrorisée par cette entrevue, nous a rejoints pour aller à un spectacle tous les trois. 

Le lendemain, j’ai envoyé à #Copine 1 un texto pour lui proposer de reprendre cette discussion. Et je lui ai suggéré, certes maladroitement, de ne pas faire état de nos discussions à mademoiselle B. Je souhaitais simplement éviter d’inquiéter mademoiselle B. inutilement, d’autant qu’on ne s’était rien dit et qu’en tout état de cause nos propos avaient été extrêmement bienveillants à l’égard de mademoiselle B. En tout état de cause, si j’avais des choses personnelles à dire à mademoiselle B. je n’avais pas besoin, et encore moins l’envie, de passer par le truchement de sa meilleure amie. #Copine 1 m’a répondu sèchement dans un texto aussi lyrique que confus, qu’elle ne saurait accepter une telle demande de déloyauté vis-à-vis de son amie avec qui elle avait conclu un serment de transparence et d’honnêteté et patiti et patata. Mon sang n’a fait qu’un tour. Une gamine immature et prétentieuse qui me donne des leçons de loyauté et de vie dans une geste infantilisante au possible ! Je suis sorti de mes gonds. Pour qui me prenait-elle ? Pensait-elle sérieusement que j’allais me répandre sur mademoiselle B. ?

Le soir même je faisais part à mademoiselle B. de mon énervement et de tout le bien que je pensais de son « âme sœur ». La suite est racontée ici par l’intéressée. A la suite de cela, Mademoiselle B. s’est sentie prise entre les feux des deux personnes qui comptaient le plus pour elle et elle a fait une terrible poussée d’angoisse. Elle a dû s’arrêter plusieurs jours de travailler.

En réalité, cet événement n’a été que le catalyseur d’une crise latente beaucoup plus profonde. En effet, Mademoiselle B. s’était surchargée de projets et d’échéances professionnelles et associatives qu’elle n’arrivait plus à gérer, et ses travaux de maison patinaient faute d’argent, ce qui la mettait dans une situation très insécurisante. Elle avait le sentiment de ne pas être capable de faire face aux différents événements de sa vie et avait accumulé au surplus une terrible fatigue. Pour la première fois, je sentis qu’il y avait danger maximal. Je devais agir, lui venir en aide mais surtout me mettre en retrait pour éviter d’endosser un responsabilité destructrice à son égard.

Il fallait que tout cela cesse. J’allais tout droit vers la catastrophe et j’entraînais dans mon sillage mademoiselle B. C’est à ce moment que j’ai commis ma première tentative de rupture. Par texto ou par mail, je ne me souviens plus. Je lui ai annoncé qu’il fallait que notre relation s’arrête car j’avais le sentiment d’être destructeur. Toutefois, je laissais une petite porte ouverte en lui indiquant que je tenais à elle et que je ne pourrais pas résister à l’idée de la revoir si elle le souhaitait. Terrible ambiguïté.

Mademoiselle B. me répondit dans un texto desespéré qu’elle refusait que notre relation s’arrête. Elle ne pourrait pas le supporter surtout dans les circonstances actuelles de ce burn-out qui ne portait pas son nom. Bref, je la quittais mais elle refusait que je la quitte. Très bien …

Je me suis donc résolu à faire partiellement machine arrière. Mais il fallait que je marque le coup. Je ne pouvais pas la laisser tomber en ce moment de fragilité paroxystique. Mais je devais l’amener à repenser le cadre de notre relation.

Nous nous sommes revus la veille d’un cours qu’elle devait donner dans un cursus de formation continue en lien avec son activité professionnelle. Cette session de formation l’obsédait depuis des mois et la stressait terriblement. Elle avait fourni un très gros travail de préparation mais ne se sentait pas à la hauteur, en dépit de mes conseils de prof d’université aguerri et de mes tentatives de réassurance. Avant de nous revoir, j’avais prévenu mademoiselle B. que je souhaitais lui dire des choses importantes.

Lorsque je suis apparu chez elle, elle se montra peu enthousiaste à l’idée d’avoir une nouvelle mise au point avec moi, surtout en cette veille de cours, mais j’ai passé outre ses mises en garde. J’ai donc commencé par lui confirmer mon souhait de rupture mais je tenais compte de son désir de continuer. Néanmoins, je lui précisais bien que cela ne changerait rien à la situation et que celle-ci n’évoluerait pas. Victoria resterait ma compagne et je souhaiterais continuer à construire ma vie avec elle. J’avais entendu le refus de rupture adressé par mademoiselle B. Nous continuerions à nous voir car elle le souhaitait et nous tâcherions de passer de bons moments ensemble mais il fallait faire le deuil de tout le reste.  Pour finir, je lui faisais part de nos divergences fondamentale de perception de la vie à deux et des raisons de notre impossibilité amoureuse. Elle encaissa, non sans mal.

Ensuite, j’enchaînais sur la seconde chose importante que j’avais à lui dire. Je souhaitais l’aider financièrement. Je la voyais s’enfoncer jusqu’au cou dans ses projets de travaux et je ne pouvais pas la laisser sans aide. Son salaire à peine supérieur au SMIC ne lui permettait pas de faire avancer ses travaux de salle de bain et elle se trouvait dans une situation inextricable et, de surcroît, aggravée par la désinvolture des artisans. Je ressentais cette obligation morale et fraternelle de l’aider. Ne rien faire c’était une non-assistance à personne en danger. J’en avais les moyens et je lui devais cette aide afin qu’elle puisse envisager plus sereinement la suite. J’aurais eu ce même geste de fraternité pour toutes les personnes que j’aime et qui comptent pour moi. Je précisais néanmoins qu’il ne s’agissait pas véritablement d’un don car j’attendais en retour qu’elle me peigne trois tableaux. Des œuvres personnelles et uniques, rien que pour moi. Pour le reste je n’attendais rien, hormis de voir sa salle de bain réalisée.

Elle refusa dans un premier temps. Difficile en effet pour mademoiselle B. d’accepter de ne pas être en mesure de faire face à ses propres responsabilités. Toujours est-il que le lendemain elle recevait un virement de 5000 euros.

D’aucuns pourront voir dans cet acte, le prix que j’acquittais pour me défaire de ma culpabilité à l’égard de mademoiselle B. Ou pis, le prix à payer pour avoir accès à son corps et à sa sexualité, ce qui ferait de moi un littéral salaud. Chacun sera libre de juger voire de me juger.

Je tiens néanmoins à dire que j’étais totalement sincère dans ma démarche. Je me considère comme un véritable privilégié, je gagne très bien ma vie et cela m’engage moralement en termes de solidarité avec mon prochain. A commencer par le fait que je trouve normal de payer beaucoup d'impôts. Je voulais aider mademoiselle B., lui témoigner mon affection et mon souhait de la soutenir dans ses projets, même si je ne lui offrais qu'une place secondaire dans ma vie. Bref, je tenais à elle et j’ai voulu lui montrer qu’elle pouvait compter sur moi. Et puis le deal passé avec elle, à savoir le fait qu’elle me fasse don en contrepartie d’œuvres personnelles, rééquilibrait la balance. Je ne lui faisais nullement la charité.

Pour la petite histoire, ma générosité s’est transformée plusieurs mois plus tard en cadeau empoisonné lorsque les impôts exigeront de mademoiselle B. qu’elle s’acquitte de droits de mutation équivalant à 60 % de la somme reçue… Petit détail fiscal qui m’avait échappé. Avec le recul, cette donation était évidemment une somptueuse connerie. Un achat d’indulgence presque chrétien. Un comble pour un athée.

Les semaines qui suivirent furent assez compliquées. Nous continuions à nous voir mais nos entrevues étaient souvent plombées par un sentiment de malaise partagé. Je reprochais à mademoiselle B. de ne pas avoir accepté notre rupture et cela me plaçait dans une situation de plus en plus inconfortable. Mademoiselle B., quant à elle, supportait encore moins que je prononce le simple mot « Victoria ». La situation pouvait dégénérer d’un moment à l’autre. Par ailleurs je me dévoilais sans fards et ne cherchais plus à lui mettre devant les yeux la réalité de ma personnalité, pas spécialement modeste. Elle souhaitait de la transparence, je comptais lui en offrir. Lorsque je lui demanderai un jour de me dire ce qu’elle pensait de ma personne, elle me qualifiera d’arrogant et de prétentieux. Elle n’avait pas tort dans un sens. 

Cela dit, nos moments passés ensemble n’étaient pas systématiquement heurtés ou conflictuels et étaient même la souvent agréables. Comme cette soirée passée avec ses amis homos. Pourvu que le mot Victoria ne soit jamais prononcé. Et notre sexualité ne connaissait pas de crise voire se bonifiait avec le temps. Nous étions parvenus à un nouveau degré d’intimité sur ce terrain qui nous permettait d’appréhender avec moins d’inhibitions nos fantasmes et notre plaisir mutuel.

Notre histoire se consumait toutefois à grande vitesse. Les temps d'absence, les moments que je passais avec Victoria, en particulier nos vacances de février passées dans le Jura, devenaient source d'angoisse et de conflit. Pour elle comme pour moi. Le mot Victoria prononcé même fugacement provoquait l'ire de mademoiselle B dans une sorte de mouvement réflexe de sa part. Il m'était pourtant impossible d'occulter cette partie de ma vie, sauf à m'occulter moi-même. La situation était  décidément toujours aussi merdique et je ne savais pas comment m'en sortir. 

J'étais obsédé et effrayé à la fois par la nécessité de mettre fin proprement à cette situation intenable. Mais décidément je ne savais pas y faire.

Et puis le Président de la République instaura le confinement un fameux 16 mars 2020…

 

 

 

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