Le contrepoint d'Isaac : chronique d’une impossibilité amoureuse (III-2)

date_range 14 Juin 2020 folder Isaac et mademoiselle B.

Acte 3 scène 2 : Les bronzés font du ski, chasse au trésor, gastronomie douce-amère

La date fatidique de mon anniversaire arriva, un mercredi de la mi-décembre. Sur le chemin du boulot, je me suis arrêté à la boulangerie pour récupérer ma commande de viennoiseries destinées à marquer le coup avec les collègues. Petite tradition de convivialité professionnelle. J’ai fait le tour des services avant de me rendre dans mon bureau, salue l’équipe de Direction et les assistantes avec quelques pâtisseries. Lorsque j’arrive dans mon bureau je découvre que l’écran est recouvert de paillettes et que des ballons de baudruche ont été disposés sur les fenêtres. Un mot figure sur mon bureau dans lequel je lis de nombreux témoignages de vive sympathie. Je suis touché de découvrir que de nombreuses collègues (oui je travaille dans une administration très féminisée) ont souhaité marquer le coup pour mon passage de la quarantaine. En dépit de mon statut de Directeur comptable et financier et de la distanciation sociale qu’il suppose en apparence. Mais je ne me suis jamais considéré comme un hiérarque mais uniquement comme un salarié ; certes avec un peu plus de responsabilités, un pouvoir décisionnel et hiérarchique. Mais avant tout comme un agent du service public comme les autres.

Je venais à peine de me poser sur mon fauteuil lorsque j’entends soudain des notes de musique en provenance d’un i-pad placé dans mon bureau : le générique des Bronzés font du ski ! Référence à l’un de mes films culte. En effet, si je suis réputé pour être un intellectuel amoureux de cinéma d’auteur, très prise de tête aux yeux de la plupart de mes collègues, je n’en demeure pas moins un grand amateur de culture populaire, pourvu qu’elle soit de bonne facture et ne prenne pas le spectateur pour un imbécile. Lors des repas à la cantine, moment de relâchement et de convivialité où les barrières hiérarchiques s’estompent quelque peu, j’ai stupéfié mes collègues de cantine en indiquant que cette comédie française populaire et archi-vue faisait partie de mon panthéon personnel, aux côtés de films d’auteurs beaucoup plus exigeants. Intringuées par le fait que je partage avec elles cette référence culturelle populaire commune, mes collègues pour qui la V.O est déjà une terra incognita, ont pris ma passion pour les Bronzés font du ski pour une forme de snobisme populiste de ma part qui les a beaucoup amusées. Mais il n’en est rien.

En effet, je considère les Bronzés font du ski comme la quintessence du cinéma populaire à double niveau de lecture : la comédie populaire utilise ici le vecteur du rire pour faire passer un message franchement acide et extrêmement lucide sur la petite bourgeoisie, en éreintant la figure du beauf parvenu de classe moyenne en vacances d’hiver. L’hypocrise, la fatuité, la fausseté des relations humaines, tout y est décrit avec une puissance dévastatrice. Toutes les répliques du film sont ciselées et j’en appris par cœur une palanquée. Avec Victoria, qui partage ma passion pour ce film, nous faisons régulièrement des concours de citations des Bronzés et utilisons certaines répliques comme mode de résolution de certains conflits. Lorsqu’elle me dit par exemple : « Et tu me passeras un coup de balai parce qu’hier c’était vraiment dégueulasse », elle me signifie avec humour qu’il serait bon que je participe davantage à certaines tâches ménagères. 

Pendant toute cette journée particulière, je fais l’objet d’attentions très touchantes de nombreux collègues et collaborateurs de mon équipe, en particulier de mon adjointe avec qui j’entretiens une relation professionnelle de rare complicité et de confiance mutuelle. Je me dis que je suis quand même assez apprécié malgré ma position hiérarchique et cela me fait chaud au cœur. Les bronzés font du ski sera le fil rouge des cadeaux qui me sont offerts, notamment avec ce superbe tee-shirt stylisé avec une tête de Popeye (Thierry Lhermitte) en ombre chinoise en-dessous de laquelle est inscrite la réplique culte : J’t’exliquerai ! J’adore.

Pendant ce temps, mademoiselle B. échafaudait ma surprise d’anniversaire du soir depuis que je lui avais confié la tâche hautement angoissante de me réserver une surprise. En réalité, la surprise que me réserva Mademoiselle B. fut en deux temps. La veille du jour J, elle m’avait demandé les clés de mon appartement. J’étais évidemment totalement intrigué par ce qu’elle pouvait bien manigancer chez moi en mon absence, d’autant que je commençais à prendre conscience de son imagination débordante pour les mises en scènes diverses et variées. Je rentai donc chez moi après ma journée de travail. A première vue, aucun indice de son passage dans mon appartement. Toutefois, je remarquai qu’une écharpe qu’elle avait oubliée chez moi avait disparu.

Je me rendis dans ma chambre et constatai que mon oreiller avait été déplacé. En le palpant, je découvris qu’un mot y avait été positionné sous la taie. Le mot indiquait que je devais me mettre en quête d’indices en vue de trouver les cadeaux qu’elle avait dissimulés. Une chasse au trésor ! Je fus totalement émoustillé par ce défi tout droit sorti de l’imagination débordante de mademoiselle B. Sauf que je suis un bourrin et que j’ai failli tout faire échouer…En effet, dans ce mot, elle m’invitait à me mettre au ras du sol pour débusquer le premier cadeau. Des dessins géométriques rouges étaient disposés en guise d’indices, indices auxquels je ne fis aucune attention. Basiquement, je me penchai sous le lit et y découvris un second mot… m’indiquant que le cadeau n’était pas sous le lit. Et cette remarque : « Bien essayé ! »

Avec mon sens de la déduction légendaire, je me mis à fouiller dans mon armoire. Eurêka ! Dans mon tiroir à chaussettes, je découvrais deux bouteilles de bière. Des bières artisanales. Comme c’était mignon !

J’appelai aussitôt mademoiselle B. au téléphone pour lui faire part de ma découverte et la remercier de sa si touchante attention. Je lui annonçai fièrement que j’avais trouvé les bouteilles planquées au milieu de mes chaussettes. Elle me répondit en substance (avec des mots plus sympathiques mais avec à peu près la même indignation) :

« Mais tu es vraiment un abruti. Je te fais une chasse au trésor et la première chose que tu fais, c’est de fouiller dans ton armoire sans raison apparente. Tu n’as pas du tout cherché les indices et tu as trouvé le dernier cadeau, de loin le plus insignifiant »

Ok. J’ai fait n’importe quoi. Je suis vraiment con. Je m’excusai donc et lui promis de la rappeler quand j’aurais sérieusement réalisé sa chasse au trésor.

Cela m’a pris une heure environ. Les signes géométriques sur le premier mot faisaient en réalité référence au motifs rouge du plaid de mon canapé-lit de salon (pour être précis je vis dans un meublé que le propriétaire a oublié de meubler, et dans le salon un lit une place fait office de canapé). Je me penchai donc sous le canapé-lit et y trouvai enfin le premier cadeau : un livre. Les furtifs d’Alain Damasio. Dans une lettre, mademoiselle B. m’expliquait qu’elle avait choisi ce livre pour m’initier à la littérature de l’imaginaire, domaine littéraire qui occupe une grande partie de sa vie. Elle l’avait choisi pour moi spécialement, pour le thème du livre et l’anticapitalisme débordant de l’œuvre qui me toucheraient sans doute, et pour l’écriture virtuose de l’auteur. Je fus cette fois-ci infiniment touché et me promis de lire rapidement les 700 pages de SF proposées aussi amoureusement. En réalité, cela me prendra quelques mois.

Cela dit la quête n’était pas finie ! Mademoiselle B. m’invitait à trouver le cadeau suivant en regardant la jolie vue de mon appartement. Cette fois-ci le Sherlock Holmes qui sommeille en moi ne se laisserait pas berner. Je m’en fus immédiatement dans la véranda et y découvris deux verres à pied. Excellente idée ! Je suis amateur de bon vin et mademoiselle B. m’avait introduit dans un club d’œnologie de notre ville. Mais je n’avais guère que les verres à eau fournis avec mon appartement meublé pour pouvoir déguster les bonnes bouteilles avec elle. Il faut dire que tout mon confort de vie se trouvait chez Victoria a 150 km de là et n’avais pas jugé utile d’améliorer mon équipement ménager dans l’appartement où je vivais 5 jours par semaine. Mademoiselle B. me fit prendre conscience par son cadeau que la situation était totalement grotesque.

Le troisième indice fut de loin le plus dur à percer. Il me fallait avoir la présence d’esprit d’ouvrir mon four micro-onde, objet de malheur qui symbolise à mes yeux le transhumanisme culinaire, et que je m’étais promis de ne jamais approcher à moins d’un mètre. A l’intérieur, un indice qui aurait dû m’amener à trouver les bières artisanales planquées dans mon tiroir à chaussettes ! Par ailleurs, mademoiselle B. avait soigneusement découpé une lettre manuscrite en deux fragments qu’elle avait dissimulés avec les cadeaux. En rassemblant les deux fragments, elle me souhaitait un joyeux anniversaire et m’indiquait se réjouir de me retrouver le lendemain pour fêter en tête-à-tête mon passage dans la cinquième décennie. Elle indiquait qu’elle ne savait pas encore ce que nous ferions mais qu’il fallait que je reste sur mes gardes.

Je puis dire aujourd’hui que j’ai rarement été autant touché par un cadeau d’anniversaire même si je dois reconnaître que Victoria m’eut jadis gratifié d’attentions qui m’avaient également fait fondre. Mais avec le temps, les cadeaux d’anniversaire que l’on pouvait se faire mutuellement avaient perdu en effet de surprise même s’ils avaient fortement gagné en valeur matérielle. Un an auparavant, nous avions fêté les 40 ans de Victoria à Lisbonne, en tête à tête dans un hôtel 4 étoiles. Histoire de dépayser la mélancolie du changement de décennie. L’inverse de ce que mademoiselle B. m’offrait. Je fus évidemment bouleversé par cette attention gratuite et très personnelle. Mais en même temps un peu troublé. Je commençais à prendre conscience qu’un attachement profond à ma personne était en train de naître dans l’esprit de mademoiselle B et que décidément, elle ne savait pas aimer à moitié. Quant à moi, je devais bien admettre que je ne savais plus vraiment où j’en étais. La crise avec Victoria venait de se calmer subitement depuis que nous avions déclaré le cessez-le-feu et je commençais à sérieusement me demander si je n’étais pas en train de commettre une bêtise irréparable en m’engageant à ce point avec une fille dont je tombais indubitablement amoureux mais que je venais à peine de rencontrer.

D’autant que la lecture frénétique de son blog me laissait perplexe. Depuis que j’e l'avais découvert, j’y passais des heures et je découvrais au fil de ma lecture toute l’angoisse qui tenaillait mademoiselle B. à l’idée que je la quitte.  Je commençais à prendre peur et avais besoin de comprendre, d’évoquer de vive voix ce que j’avais découvert secrètement. Et puis, cette évocation troublante de ses déceptions sentimentales précédentes, ces hommes à qui elle avait offert son cœur entièrement. J’étais troublé.

Après avoir enfin accompli ma chasse au trésor, j’ai donc rappelé mademoiselle B. Une longue et douce discussion téléphonique  où je lui fis part de mon émotion ressentie au cours de cette chasse au trésor, de mon bonheur de la retrouver le lendemain pour fêter mon anniversaire avec elle. Nous avons échangé sur le livre de Damasio. Puis la discussion se porta volontiers sur nos ressentis charnels et l’explosion sensorielle que faisait naître notre exploration sexuelle naissante. Mademoiselle B. évoquait la sexualité avec une facilité déconcertante qui contrastait totalement avec le mutisme de Victoria à ce sujet.

Le lendemain soir, donc le jour officiel de mon anniversaire, je rentrais chez moi après ma touchante journée de travail au cours de laquelle mes collègues m’avaient exprimé leur sympathie. Victoria m’appela pour me souhaiter à son tour un joyeux anniversaire. Je fus évidemment ravi de l’avoir au téléphone et d’avoir ce temps d’échange avec elle en ce jour très particulier. Nous parlâmes quelques minutes avec beaucoup de tendresse mais je devais trouver le moyen d’écourter la conversation car mademoiselle B. pouvait sonner d’une minute à l’autre. Je prétextais une tenue maçonnique qui devait avoir lieu le soir-même mais dont je m’étais évidemment fait excuser. Puis la sonnette retentit. Par l’interphone mademoiselle B. me dit :

« Je t’attends en bas. J’espère que tu es habillé pour sortir. Et n’oublie pas ta carte bleue »

Il faut dire que je lui avais dit que je payerais si elle n’avait pas les moyens de ses ambitions pour ma soirée d’anniversaire surprise. Mademoiselle B. avait donc réservé une table dans un restaurant gastronomique assez réputé situé dans un village de banlieue à quelques kilomètres de là. Mademoiselle B. avait mis une jolie robe assez sexy qui dévoilait sa féminité trop souvent inhibée à mes yeux. J’ai commandé du champagne pour l’apéritif. Le repas fut très bon même s’il a un peu été gâché par les incursions légèrement intrusives de serveurs aimables mais un peu frustes, dont l’attitude n’était pas franchement raccord avec la finesse du lieu. J’ai senti que Mademoiselle B. n’était pas très à l’aise avec les codes formels des restaurants gastronomiques. Eh oui, être familier avec l’univers des restaurants huppés est un marqueur social très fort car il exige non seulement une certaine aisance matérielle mais également de ne pas être intimidé par le décorum un peu ampoulé qui accompagne le repas. Cela dit, nous passâmes un fort bon moment, le repas fut très bon et passablement arrosé.

De retour chez moi, mademoiselle B. me fit souffler quelques bougies sur des tartelettes qu’elle avait achetées. Je n’avais une seule envie à cet instant : retirer sa robe et sentir la chaleur de son corps contre le mien. Mais mademoiselle B. me demanda de me mettre nu sur le ventre afin de me faire un massage qui devait constituer mon dernier cadeau d’anniversaire. Elle avait prévu l’huile de massage et s’appliquera telle une professionnelle à me masser dos. J’attendais qu’elle s’aventure sur des parties un peu plus intimes et que cela évolue en véritable profusion érotique. Mais mademoiselle B. restera concentrée jusqu’au bout… sur mon dos ! Au bout de longues minutes, j’entrais dans un demi-sommeil dont je ne sortirai que lorsqu’elle a eu achevé son massage franchement sensuel. Nous ferons l’amour évidemment mais plus tard dans la nuit. L’alcool ingéré ce soir-là ne fut pas mon meilleur allié, cela dit.

Ce massage était une petite réminiscence de notre excursion thermale qui avait eu lieu deux jours auparavant. Une journée de détente mémorable alternant piscine à jets, sauna, hammam et soins du corps (j’ai choisi pour ma part un massage particulier qui m’amenait à être enveloppé pendant de longues minutes dans une couverture chauffante après avoir été badigeonné de la tête au pied d’une mixture à base de fruits rouges). Ce moment de détente thermale reste à ce jour l’un des meilleurs souvenirs de ma relation naissante avec mademoiselle B. Nous avions beaucoup ri et parlé d’une quantité de choses tout en jouissant comme jamais de l’instant présent. Nous avons également évoqué son blog et je commençais à soupçonner qu’elle savait que je l’avais trouvé. Mais j’essayais tant bien que mal de lui adresser des fausses pistes en l’interrogeant naïvement sur sa démarche. Cela dit, ce séjour thermal fut une véritable capsule de volupté. Je ne voulus pas avouer à mademoiselle B. que les spas et autres soins thermaux faisaient partie de notre rituel de couple avec Victoria. C’est cette dernière qui m’avait initié aux joies des massages et j’avoue être devenu accroc avec le temps.

Après les soins et totalement détendus, je raccompagnai mademoiselle B. chez elle. Le soir même elle accueillait #Copines 1, 2 et 3 pour leur traditionnel repas de Noël des « cocottes ». Je traînais avant de partir de chez elle afin de découvrir le visage desdites « cocottes ». A l’exception de #Copine 1 que je connaissais déjà puisque c’était la régulière par intermittence de mon ami Sylvain. Mademoiselle B. qui ne sait pas faire les choses à moitié agrémentait systématiquement ce traditionnel repas de Noël entre filles en se déguisant en mère Noël et en balançant des paillettes à la figure des invitées qui franchissaient le pas de sa porte.

Cette semaine d’anniversaire partagée avec mademoiselle B. fut manifestement le climax de notre relation sentimentale naissante. Tout fut parfait et mademoiselle B. venait de m’offrir des cadeaux dont la dimension symbolique m’avait bouleversé. Mais lorsque l’on atteint des sommets, la redescente est d’autant plus raide.

D’autant que je devais à présent retrouver Victoria pour le deuxième acte de la célébration, officielle cette fois-ci, de mon entrée dans la quarantaine. Comme annoncé, j’avais invité ma famille proche, autrement dit, Victoria, ma mère, mes deux cousines préférées, leur conjoint respectif, ma tante et mon oncle dans un restaurant étoilé de la grande ville d’où je suis originaire, située à 80 kilomètres de mon lieu de célibat professionnel. Je souhaitais, par cette invitation, offrir une expérience gastronomique de haute voltige aux membres de ma famille que j’estime le plus tout en trouvant le moyen de passer un bon moment avec Victoria dans un cadre qui nous permettrait d’oublier les nuages qui avaient assombri notre horizon commun depuis plusieurs mois. Et nous partagions avec Victoria l’amour pour les grandes tables.

La qualité du repas fut au-delà de mes attentes. Depuis les amuse-bouche jusqu’au dessert, le service impeccable, l’accord mets/vins très subtil. Franchement l’un des meilleurs restaurants gastronomiques que j’ai eu l’occasion de découvrir. Ma famille était subjuguée d’autant que c’était la première fois qu’il mangeaient dans étoilé Michelin. [Pour la petite histoire le restaurant perdra de manière incompréhensible son étoile quelques semaines plus tard]. Mes cousines m’invitèrent à faire un petit discours au moment des cadeaux. J’improvisais un petit éloge sur la fraternité et l’importance de prendre soin des personnes que l’on aime, en faisant une petite référence masquée à la démarche initiatique que j’avais entreprise dans la franc-maçonnerie qui donnait un sens nouveau à mon existence. Visiblement, cela a beaucoup touché les convives. La soirée fut parfaite. Mes cousines étaient ravies et nous avons pu discuter d’une quantité de choses.  Victoria passa un très agréable moment et me signifia à de nombreuses reprises qu’elle était émue par mon geste. Seul petit couac au moment de payer la note. Après avoir payé l’addition (qui dépassait quand même les 1000 euros ou un SMIC, c'est selon), un serveur est revenu me voir pour m’indiquer qu’il avait oublié de compter les 5 digestifs que j’avais commandés pour terminer le repas. Il m’invitait donc à repasser à la caisse. Pas très classe.

Nous avons terminé la soirée avec mes cousines et leur conjoint dans un bar pour un dernier verre. Victoria préféra avait préféré décliner l’invitation pour remonter chez elle (chez nous) à 50 kilomètres de là et me laissa terminer joyeusement la soirée. La soirée fut parfaite de bout en bout et je fus ravi d’avoir pu passer un aussi agréable moment avec Victoria, ce qui ne nous était plus arrivé depuis le déclenchement de notre crise conjugale.

Une fois les verres consommés, je rentrais dormir chez ma mère qui habitait sur place. J’avais prévenu Victoria que je ne remonterais pas avec elle le soir car je devais me rendre à un spectacle auquel m’avait invité mademoiselle B. le lendemain après-midi. J’avais simplement précisé que je devais retrouver Sylvain dont elle connaissait notre amitié de longue date. C’était au demeurant factuellement exact. Sylvain et #Copine 1 étaient de la partie.

Avant de me coucher, un peu exalté par le déroulement soirée et par ma joie d’avoir pu retrouver Victoria dans un contexte serein, et, accessoirement grisé par l’alcool, j’entrepris d’envoyer un texto à mademoiselle B. pour lui indiquer que je pensais à elle. Le geste de trop…

Dans mon très long texto, je ne pus m’empêcher de lui adresser des interrogations qui entraient en écho avec mon besoin de comprendre les raisons des angoisses que mademoiselle B. étalait sur son blog. Plus encore, je voulais lui faire toucher du doigt ma culpabilité de lui faire endosser le rôle de femme de l’ombre, de maîtresse d’un homme marié (enfin, pacsé). D’autant que je commençais à perdre complètement le Nord. L’excellente soirée gastronomique que je venais de passer avec Victoria, et le contre-pied victorien de la semaine précédente, venaient en effet de me convaincre que notre histoire ne pouvait s’arrêter comme cela, uniquement car j’avais fait éclater au grand jour les dysfonctionnements de notre couple. Il semblait évident que je tenais à Victoria viscéralement en dépit de notre crise sexuelle. C’était un fait acquis. Mais l’amour que m’avait témoigné mademoiselle B. ouvrait des perspectives tout autres. Une sexualité enfin synonyme de vie, de la spontanéité, des échanges, des surprises. La passion en somme. Et si, finalement, ce n’était pas cela l’amour auquel je souhaitais prétendre ?

Mais je commis surtout l’erreur de soumettre frontalement à mademoiselle B. mes questionnements intimes sur le sens de son amour pour moi. Dans un lyrisme pseudo-psychologisant assez froid :

« Qui suis-je, dans ta vie ? L'homme avec qui tu souhaiterais construire une relation durable ou simplement un amant à l'unisson de tes sensations intimes et qui te fait découvrir de nouvelles dimensions de ton corps de femme, qui te redonne ce renforcement narcissique dont tu as besoin pour pouvoir te projeter à nouveau avec les hommes ? »

 La question peut sembler brutale voire insultante. Surtout quelques jours seulement après que mademoiselle B. m’eut gratifié de preuves d’amour aussi formidables. Je venais assurément de renouer avec ma maladresse légendaire qui attestait au passage de mon manque d’empathie que Victoria m’a si souvent reproché. Mais pas que. Pour moi, il s’agissait d’une question légitime, essentielle même qui me taraudait depuis plusieurs semaines. En effet, la lecture clandestine du blog de mademoiselle B. m’avait introduit dans son intimité sentimentale, parsemée d’histoires à l’issue quasi-similaire. Un don de soi intégral pour des hommes dont elle s’éprenait sans retenue, des espérances démesurées vis-à-vis de partenaires qui n’en demandaient pas tant et des déceptions terribles lorsque ceux-ci lui ont fait comprendre qu’ils ne voyaient pas en mademoiselle B. la femme de leur vie.

Qui étais-je en réalité pour mademoiselle B. derrière les formidables témoignages d’amour qu’elle m’adressait ? Le nouveau Miguel ? Le nouveau Charles-Henry ? Un nouveau spécimen de son musée personnel de mâles incapables de répondre à son besoin d’amour ?

De là, me vint à l’esprit une question nettement plus provocatrice mais finalement nettement plus profonde qu'elle n'en avait l'air. Est-ce que mademoiselle B., au fond d’elle-même, n’était pas en réalité prisonnière de sa propre illusion amoureuse ?

Je voulais simplement lui faire prendre conscience que je n’étais peut-être pas cet homme paré de toutes les vertus avec qui elle pourrait fonder un foyer. Mademoiselle B. prétendait m’aimer, et me le témoignait de très belle manière. Mais que savait-elle de moi et de mes intentions ? Percevait-elle la réelle angoisse qui commençait à m’assaillir à l’idée de la faire souffrir ? Avais-je envie au fond de moi de quitter Victoria pour me lancer dans l’aventure passionnée avec elle au risque de casser tout l’édifice patiemment construit avec Victoria depuis plus de douze ans ? Pouvais-je, à l'inverse, imposer à mademoiselle B. le rôle de femme de l’ombre ? Je commençais à douter terriblement et à sentir le danger de la situation.

Et puis me vint une épiphanie. Je venais de prendre subitement la mesure de la phrase de Nietzsche :

« On en vient à aimer son désir et non plus l’objet de ce désir »

 

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