Le miroir de mademoiselle B. : le sac à démons

date_range 23 Février 2020 folder Isaac et mademoiselle B.

Le sac à démons

Note très importante à l’attention du lecteur : Isaac n’est pas psychologue et n’a pas la prétention de brosser le portrait psychologique de mademoiselle B. Mademoiselle B. a par ailleurs entrepris une courageuse démarche psychothérapique et c’est à elle et à elle seule qu’il revient de trouver les clés de résolution de ses névroses. Cet article n’est que l’évocation du ressenti de l’auteur et une vision distanciée qu’il porte sur certains aspects de la vie intime de mademoiselle B qu’elle a bien voulu lui dévoiler et consigner dans son blog.

Lorsque j’ai ouvert la porte de ma vie intime à mademoiselle B., je n’avais pas prévu qu’elle poserait dans mon salon personnel un sac très volumineux et terriblement encombrant. Dans ce sac, se situe la galerie de ses démons intimes, figures plus ou moins toxiques de sa vie passée avec lesquelles mademoiselle B. tente désespérément de se débattre à trente ans passés. Ces démons ont en commun d’être composés exclusivement de figures masculines ayant eu une influence manifeste et, disons-le, assez traumatique sur sa trajectoire biographique. Certains de ces démons ont été domptés et se tiennent assez discrets au fond du sac, exigeant çà et là un peu de nourriture psychique de la part de leur propriétaire. D’autres au contraire sont très voraces et exigent régulièrement que mademoiselle B. leur offre un festin de roi aussi ruineux que salissant. Car ils ne prendront jamais la peine de faire le ménage après leurs bacchanales et mademoiselle B. doit régulièrement passer la serpillère derrière eux et leur offrir des habits neufs.

En réalité, en observant bien à l’intérieur du sac à démons, une figure féminine très discrète, quasi-spectrale semble émerger de cette galerie. Ce méta-démon féminin, très furtif, maintient pourtant solidairement l’ensemble de la besace avec laquelle elle semble faire corps.

Passons-en revue les démons qui peuplent le sac à démons de mademoiselle B.

-          #Démon 1 : le père inconnu retrouvé 

Lorsque j’ai rencontré mademoiselle B. pour la seconde fois, celle-ci était accompagnée de sa mère à l’occasion d’une soirée œnologie. A un moment de la soirée, au bout du 4ème ou 5ème verre de vin, j’ai été stupéfié d’entendre mademoiselle B. évoquer, sur le ton de la plaisanterie, devant sa mère affectant une moue complice, le fait qu’elle n’avait pas été désirée. En effet, mademoiselle B. n’est pas une enfant du désir, situation somme toute assez banale et qui n’a rien d’infamante. Ce qui l’est moins c’est le fait que son père (ou plutôt son géniteur) ait quitté sa mère très peu de temps après leur mariage et presque immédiatement après la naissance de mademoiselle B. pour assumer pleinement sa vie d’homosexuel. Bien que reconnu par lui et qu’elle porte son patronyme, Mademoiselle B. n’a jamais connu son père (comme elle ne nomme) et a nourri un sentiment d’abandon ultra-classique que l’on retrouve chez la plupart des enfants n’ayant pas connu leurs parents.

Bien plus tard, mademoiselle B. est partie dans cette aventure tout aussi classique visant à retrouver son père afin de pouvoir refermer ce chapitre de son livre biographique. Ce qu’elle a fait aux alentours de la vingtaine. Elle a donc fait la rencontre de cet homme qui avait refait sa vie avec un homme et s’est mise à rêver de rattraper le temps perdu et pourquoi pas de nouer une relation affective avec un père ectoplasmique qui prenait soudainement corps devant ses yeux. Las. Son géniteur ne l’a certes pas rejetée, lui a ouvert sa porte, a fait semblant de tisser un semblant de relation avec le fruit de ses épanchements et puis… Et puis c’est à peu près tout. Pour le reste, ce « père » n’a guère cherché à entretenir quelconque lien affectif avec sa fille. Pis, il s’est permis de lui faire part de sa déception de ne pas avoir eu une fille qui ait mieux réussi socialement et professionnellement. Voyons donc ! Effectivement le genre de regrets que peut avoir un individu qui n’a jamais été présent à aucun moment de la construction juvénile de mademoiselle B, qui n’a jamais changé ses couches, qui ne l’a jamais accompagnée à l’école, qui ne lui a jamais fait réciter ses leçons, qui ne l’a jamais prise dans ses bras pour la consoler. Facile de faire la fine bouche devant la marchandise... Mademoiselle B. découvrira en réalité qu’il s’agit d’un homme profondément immature, obsédé par le sexe et totalement inconsistant.

Cela aurait pu s’arrêter là mais mademoiselle B. n’a pu s’empêcher de croire pendant des années que le lien père-fille allait se nouer comme par enchantement, par le simple fait de son apparition dans la vie de cet homme. Comme si le fait d’être le géniteur d’une fille qui surgissait dans sa vie, allait subitement transformer cet individu en père. Elle a attendu pendant des lustres, taraudée par la déréliction, des vœux d’anniversaire qui ne venaient pas, des coups de fil, des invitations, des marques d’attention ou que sais-je encore ? Autant d’espoirs voués à être déçus. Cet homme n’avait jamais voulu de cette fille et le lui faisait savoir en dépit d’une affabilité de façade.

Mademoiselle B. semble avoir réussi à dompter ce démon et à la tenir à bonne distance au fond de son sac. Elle ne lui offre que quelques élans de tristesse passagère, de frustration, qui deviennent de plus en plus espacés et moins intenses. Mademoiselle B. conserve toutefois quelques stigmates de ce démon paternel, gravés à vie dans sa chair et dans son âme : une terrible angoisse d’abandon et un espoir tristement déçu qu’atteste cette foutue manie qu’a mademoiselle B. de continuer à appeler #Démon 1 « mon père ». Pourtant, « géniteur », lui va comme un gant.

-          #Démon 2 : le beau-père qui l’a foutue à la porte 

La mère de mademoiselle B. a refait sa vie avec un homme, d’origine africaine, patron d’une d’auto-école. Le beau-père de mademoiselle B. avait une situation matérielle enviable, qui suscitait malgré tout de la jalousie et une pointe de racisme dans leur entourage. Le beau-père de mademoiselle B. a exercé une fonction parentale objective à l’égard de mademoiselle B, bien que profondément dénuée d’affect. Le beau-père n’a jamais considéré, du moins ouvertement, mademoiselle B. comme sa fille, contrairement aux autres enfants qu’il a pu avoir d’autres lits. Mademoiselle B. est pourtant le seul enfant que ce beau-père aura, un jour, élevé.  A son corps défendant, il a assuré cette fonction paternelle essentielle à l’égard de mademoiselle B., nourrie d’affection dissimulée à l’égard d’un enfant qu’il n’avait pas conçu. Dans un sens, c’est #Démon 2 est la figure symétrique inverse de #Démon 1.

Mademoiselle B. évoque son enfance avec une pointe d’émotion lorsqu’elle évoque son beau-père. A ses yeux, il ne fait aucun doute qu’il a participé activement à son éducation et lui a offert un cadre matériel sécurisant que sa mère seule n’aurait jamais pu lui offrir. Il faut dire que mademoiselle B. a grandi dans une cité bétonnée de banlieue d’une ville moyenne de Province et sa mère enchaînait des petits boulots. Son beau-père lui a offert un toit, un cadre de vie, une attention parentale mais il semblait toutefois incapable de manifester son affection autrement que par des présents matériels et ostentatoires : mademoiselle B. a eu très tôt une télé dans sa chambre (horreur éducative patente) mais cela lui a au moins permis de découvrir assez jeune la joie des séries érotiques sur M6 et nourrir un imaginaire érotique expurgé de représentations pornographiques dégradantes qui forgent la découverte de la sexualité chez tous les jeunes d’aujourd’hui. Côté sexualité, son beau-père tenait une forme olympique et a honoré chaque soir sa femme pendant près de 20 ans ; leurs ébats fascinaient mademoiselle B et cette vision de la sexualité synonyme de bonheur la rendait impatiente de pouvoir elle aussi s’adonner à ce plaisir charnel qu’elle envisageait volontiers comme heureux.

En dépit de sa fonction matriellement sécurisante, le beau-père n’a rien fait pour préserver mademoiselle B. des autres démons qui allaient rôder autour de cet enfant timide et sans défense, en particulier lorsqu’il sera témoin du travail de sape psychologique que lui fera endurer #Démon 3. Il a vu et su que d’autres personnalités toxiques avaient entrepris une terrible manœuvre d’anéantissement psychologique sur celle qu’il aurait dû considérer comme son enfant mais il n’a rien fait, n’a rien dit, et n’est pas intervenu pour prendre sa défense, se retranchant derrière l’idée que mademoiselle B. n’était pas sa fille. Cruel. Bien sûr, pendant ce temps, la mère de mademoiselle B. ne voyait rien, n’entendait rien.

Petit à petit, ce beau-père dévoilera son véritable visage, de plus en plus menaçant. Lorsque mademoiselle B. devint adolescente, et qu’elle tentera de se caparaçonner comme tous les ados du monde, #Démon 2 ne supportera pas que mademoiselle B. rejette ses cadeaux qu’il lui offrait comme unique monnaie d’échange affective. Elle attendait plus que des biens matériels ; simplement un peu d’amour, mais cela était manifestement hors de portée. Puisque mademoiselle B. ne voulait pas se soumettre à l’autorité de celui qui lui offrait un toit, #Démon 2 s’est mis en tête de lui faire payer son affront. Il lui infligera un traitement fait d’humiliation et de vexation, allant jusqu’à lui interdire d’allumer la lumière en son absence sous prétexte que c’était lui qui payait les factures. Plus tard, il tentera en vain d’empêcher mademoiselle B. de transférer son dossier d’auto-école auprès d’un confrère afin de l’obliger à se soumettre à plat ventre devant cet homme contrarié dans sa virilité. Pour la petite histoire, mademoiselle B. usera d’un stratagème habile pour récupérer discrètement son dossier d’auto-école et elle pourra brandir triomphalement son papier rose devant les yeux de son beau-père médusé.

Un événement fera tout basculer : sa mère tombe enceinte pour la seconde fois et cette fois-ci elle porte en elle un être qui porte ses gènes. Il y a quelques années, dans le cadre de l’association dans laquelle je milite, nous avons fait intervenir le vice-président de Gynécos sans frontières sur le sujet des violences faites aux femmes (Gynécos sans frontières est une ONG impliquée dans la chirurgie réparatrice des organes génitaux féminins victimes de mutilations). J’y ai découvert notamment que le moment paroxystique d’apparition des violences faites aux femmes est la grossesse car les femmes, loin d’apparaitre comme plus vulnérables, cessent pendant leur grossesse de se soumettre intégralement à leur mari, provoquant la frustration et la violence chez les hommes ayant un fond machiste latent.

Le beau-père de mademoiselle B. n’a pas échappé à cette morbide règle. #Démon 2 a donc commencé à devenir violent (sans que je ne mesure bien la nature exacte de ses violences physiques et/ou psychologiques dont il pouvait se rendre coupable) et il a commencé à s’en prendre à mademoiselle B. dans des proportions inconnues jusque-là. Plus grave, il est entré en guerre ouverte avec sa femme, la mère de mademoiselle B. Celle-ci tentait visiblement de faire écran entre son mari et sa fille mais elle se trouvait emprisonnée dans une situation matérielle qui risquerait de la plonger dans une grande précarité. Prison dorée de l’enfer conjugal… Elle ne pouvait se résoudre à partir et a finalement accepté le sort que leur réservaient son mari et subi les pressions psychologiques infernales de ce macho en mal de virilité. Finalement, dans un réflexe de protection salutaire, la mère de mademoiselle B. a liquidé ses économies pour permettre à sa fille de partir faire des études à 300 kilomètres de là où ils habitaient, ce qui fera dire à mademoiselle B. que sa mère s’est sacrifiée pour elle… Ce n’est que lorsque ce beau-père commencera à s’en prendre à leur fils en bas âge que la mère de mademoiselle B. se rendra à l’évidence d’une rupture inéluctable et d’un départ du foyer. Ce qu’elle finit par faire dans un mouvement simplement vital.

Mademoiselle B. a mis du temps pour renouer avec cet homme qui l’a mise à la porte sans ménagements. Elle finira par lui rendre visite quelques années avant sa mort dans un établissement pour personnes dépendantes où elle le trouvera dans un état de semi-démence. Elle témoignera à l’homme sa sympathie pour celui qui l’a élevée et qu’elle a toujours considéré comme son père. Elle finira par lui dire qu’elle lui avait pardonné. Celui qui mit près de trois quarts d’heures à la reconnaître se mit à fondre en larme et voulut repartir avec elle. Trop tard…

Le jour des funérailles de #Démon 2, mademoiselle B. sera présente au milieu d’une assemblée famélique composée de sept personnes. Cet événement pathétique qu’elle a relaté dans son blog fut l’un des plus éprouvants de son existence. La mort de #Démon 2 permettait cependant à mademoiselle B. se tourner une page essentielle de son enfance et atteindre au pardon pour un homme dont elle décidait de ne retenir que les aspects les plus généreux. Le respect dû aux morts a sûrement fait le reste et depuis lors #Démon 2 siège assez discrètement dans un petit coin du son sac à démons de mademoiselle B. Il continue d’errer et de la souffleter parfois mais mademoiselle B. parvient à le faire rentrer au fond du sac lorsqu’elle l’enjoint de la laisser tranquille.

-          #Démon 3 alias #Boss-démon : l’oncle pervers

#Démon 3 est de loin le démon le plus vivace qui habite le sac et celui que mademoiselle B. n’a pas réussi, malgré d’importants efforts, à tenir en respect. Ce démon continue de torturer vivement la psyché de sa propriétaire, agitant orgueilleusement les traumas qu’il a causés en elle comme des trophées. #Démon 3 c’est l’oncle pervers, le frère de la mère de mademoiselle B.

Cet oncle jouissait d’une place à part dans la famille en raison de la maladie très grave dont il est atteint (aujourd’hui encore). Une leucémie déclarée il y a des années qui constituait le passe-droit idéal pour jouir d’une totale impunité au sein de la famille et se voir absous de toutes ses ignominies morales lorsqu’il se montrait colérique, manipulateur et intrusif au vu et au su de tous. Cet oncle sans vergogne a intelligemment utilisé sa situation sursitaire pour imposer ses caprices et culpabiliser frères et parents pour mieux s’imposer au sein d’une famille qui aurait, selon toute vraisemblance, coupé les ponts en toute autre circonstance. Mais la maladie de cet oncle supposait au contraire qu’on le plaigne et qu’on lui apporte son soutien.  D’autant qu’il avait besoin d’obtenir un présent parmi les plus précieux qui puisse exister : une greffe de moëlle osseuse de sa sœur, la mère de mademoiselle B., seul parent compatible ; c’est la raison pour laquelle il a feint de se rapprocher d’elle. Et la mère de mademoiselle B., rongée par la culpabilité, la pression morale familiale, ou simplement son sens du devoir a offert ce présent vital à son frère. Elle l’a sauvé. Aurait-il eu affecté la gratitude solennelle que supposait un tel geste de si pur désintéressement ? Aurait-il simplement perçu la valeur inestimable de ce don d’organe qui lui permettait de vivre et mesuré la nature des souffrances endurées par sa sœur par pur devoir de solidarité fraternelle (car il s’agit, rappelons-le d’une intervention très douloureuse et à risque) ? Il semblerait que non, bien au contraire. Pour tout remerciement, cet oncle pervers s’est pavané dans toute sa majesté égocentrique au sein de la fratrie et en a profité pour déployer ses griffes malsaines autour d’un enfant innocent et fragile qui avait le malheur de croiser sa route. Cet enfant c’est mademoiselle B.

Un événement d’une rare banalité a semble-t-il provoqué une réaction en chaîne qui a littéralement jeté mademoiselle B. dans un tourbillon de perversion fomenté par #Démon 3. Des courriers d’enfant envoyés par mademoiselle B. à sa cousine ont été interceptés par ce funeste personnage, qui entre autres corruptions mentales ouvrait le courrier de sa fille. La cousine a prévenu mademoiselle B. qui en a parlé à sa mère (j’émets des doutes sur la précision de mon récit mais l’idée est la même). Et cela est bien sûr arrivé aux oreilles de l’intéressé. Courroucé d’avoir été pris la main dans le sac d’intrusion malsaine, l’oncle pervers s’est mis en tête de faire payer à mademoiselle B. cette offense qui mettait en lumière sa vraie nature. Il interdit à sa fille de continuer à fréquenter mademoiselle B., s’arrange pour ostraciser mademoiselle B. à chaque fois qu’elle est placée sous son autorité et cela était assez fréquent puisque l’oncle s’était, à dessein nous l’avons vu, rapproché de sa sœur et que cette dernière devait faire face à des obligations professionnelles qui l’obligeait à s’absenter souvent. Il la traite de menteuse, de personne malfaisante, raconte à la mère de mademoiselle B. que les courriers que sa fille contiennent des propos obscènes… Mademoiselle B vacille mais ne flanche pas encore. Non content d’avoir réussi à mettre mademoiselle B. au ban de la famille, l’oncle pervers va désormais chercher à démolir intégralement cette enfant qu’il haïssait. Savait-il seulement pourquoi ? Toujours est-il que #Démon 3 a mis en place un système de dénigrement systématique et de manipulation mentale aussi efficace que terrifiant, surtout si l’on pense qu’il avait pour cible une enfant d’une dizaine d’années. Il lui répète à l’envi qu’elle est une moins que rien, qu’elle ne réussira jamais dans la vie, qu’elle est une mauvaise personne, inutile. Et bien sûr qu’elle n’a aucun intérêt à répéter à sa mère ce qu’il lui dit ; sa mère se rangerait évidemment de son côté et la considérerait comme méchante et menteuse… Facile, vraiment facile de manipuler un enfant.

Il est très ardu d’imaginer au travers de mon récit la violence endurée par mademoiselle B pendant ces mois (années ?) de harcèlement moral mis en œuvre par cet oncle pervers. Violence redoublée par son incapacité à se défendre face à un adulte dépositaire de l’autorité et, pis, de pouvoir se confier à sa mère, par peur de perdre la confiance de celle-ci. Elle a donc encaissé les coups sans émettre le moindre cri, ou presque.

Il y eut cette scène extrêmement cruelle où mademoiselle B. prostrée sous un bureau envisageait simplement de mettre fin à ses jours. Il y eut également des séances de scarification par lesquels mademoiselle B. s’infligeait une automutilation libératrice qui demeure aujourd’hui encore une tentation morbide qui l’assaille (et qu’elle aurait aujourd’hui réussi à réfréner). Mademoiselle B. a narré dans son blog la reconstitution de la scène du bureau au cours d’une séance de psychothérapie. Le lecteur pourra se fier à son propre récit pour prendre la mesure du traumatisme profond et durable qu’a infligé cet oncle pervers à mademoiselle B. Cet oncle est parvenu à éreinter Mademoiselle B. au plus profond de son être et à briser durablement son estime de soi. Les stigmates de cette période sont encore béants. Mademoiselle B. est parvenue à se reconstruire après cela mais elle a perdu durablement toute confiance en elle, toute estime de soi, et toute capacité à se regarder avec des yeux aimants dans son propre miroir.

Le plus sidérant dans cette histoire c’est que personne n’a rien vu, n’a rien su. Hormis peut-être le beau-père de mademoiselle B. qui était témoin des scènes d’humiliation de cet oncle et qui, manifestement, ne souhaitait pas intervenir pour protéger celle qu’il ne considérait pas comme sa fille. Hormis une tante qui, longtemps après, a fait part de sa culpabilité de ne pas avoir davantage protégé mademoiselle B. Finalement, il semblerait que des témoins il y en eut. Mais pas un seul n’a eu le courage d’intervenir, de s’interposer, ou tout simplement de prévenir la mère de mademoiselle B. Quant à cette dernière, elle est tombée des nues, bien longtemps après, lorsque sa fille lui a enfin relaté l’enfer qu’elle avait subi de la part de son oncle. Elle ne savait rien, s’est effondrée et a finalement pris le parti de s’éloigner durablement de son frère dont elle venait enfin de saisir la gravité des actes… Pourtant de tels agissements ne pouvaient guère passer inaperçus et toutes ces personnes ont eu et conservent aujourd’hui encore une grande part de responsabilité, si ce n’est leur complicité, dans ce système de perversion morale élaboré par cet oncle pervers à l’endroit d’une jeune fille sans défense.

Lorsque mademoiselle B. m’a parlé à plusieurs reprises de cet oncle démoniaque, je fus pris d’une colère extrêmement vive. Si je l’avais croisé, je crois que je lui aurais foutu mon poing dans la gueule, en dépit de mon antiviolence viscérale. Il est difficile pour un tiers, a fortiori lorsqu’il entretient des relations affectives avec quelqu'un, d’avoir les mots justes, de conserver la bonne distance et de prononcer les conseils adéquats à une personne durablement traumatisée par les agissements coupables d’une personnalité toxique. Selon moi, #Démon 3 doit être affamé jusqu’à ce qu’il sorte inanimé du sac à démons de mademoiselle B. Ou au mieux être cloué au pilori au fond du sac, avec pour seule nourriture les excréments des autres démons qui le côtoient.

J’ai affirmé à Mademoiselle B. qu’un tel traumatisme d’enfance ne pouvait être réglé sans qu’elle obtienne réparation de la part de cet oncle qui n’a jamais fait acte de repentance. Qu’elle ait cessé de le voir ne règlera pas, selon moi, le problème ; le trauma restera intact tant que cet oncle sera en vie et peut-être encore après sa mort. A moins que sa psychothérapie ne fonctionne et lui permettre d’atteindre à la résilience espérée. Je commence à en douter.

J’ai un jour suggéré à mademoiselle B. d’écrire une lettre à cet oncle dans lequel elle reviendrait sur ses agissements coupables afin de lui faire prendre conscience de la gravité des faits, sur les conséquences durables que ses actes ont eu sur sa vie. Je lui ai dit qu’elle devait conclure sa lettre en lui assénant cette vérité triomphale du style : « En dépit de tous tes efforts pervers, tu n’es pas parvenu à tes fins. J’ai réussi à construire ma vie et à être une personne aimée et appréciée, infiniment plus que tu ne l’auras jamais été dans toute ta minable vie. Je veux désormais que tu sortes définitivement de ma conscience. Pour ce faire, il me faut oublier ton existence-même. Alors je te le dis : tu n’as jamais existé, tu n’existes pas et tu n’existeras jamais plus à mes yeux. »

Je ne sais pas si ma proposition est une bonne idée, ne serait-ce que parce que les pervers se délectent des dégâts qu’ils ont causés. Peut-être y trouvera-t-il des motifs de satisfaction, voire pire, bandera-t-il tel un satyre répugnant. Mais je reste persuadé que Mademoiselle B. doit chercher à obtenir réparation de ce démon dominant qui pourrit encore aujourd’hui son existence et l’empêche d’affronter la vie sereinement. Et j’ai repensé soudainement à Festen de Thomas Vinterberg. Et si ce courrier ne devait-il pas être envoyé, en définitive, à l’ensemble de la famille de cet oncle pervers (frères, sœurs et parents) afin qu’il vive jusqu’à la fin de ses jours sous le poids du regard réprobateur de tous ceux qui n’ont pas su ou qui l’ont laissé agir. Et qu’au passage, ils portent aussi, une petite part du fardeau moral causée par leur non-assistance à enfant en danger ? Un tel acte nécessiterait un courage immense, et manifestement une rupture franche avec la famille maternelle de mademoiselle B.  Le souhaiterait-elle ? Rien n’est moins sûr.

Suite à nos discussions, mademoiselle B. a rédigé deux courriers destinés à son oncle. Qu’elle n’est pas parvenue à envoyer. Je la comprends. Elle m’a demandé si j’accepterais un jour de les envoyer à sa place si elle me le demandait. J’ai immédiatement répondu par l’affirmative.

Quant à cet oncle pervers, le double humain de #Démon 3 alias #Boss-démon, la maladie continue de le ronger. Il a tenté il y a quelque temps de se rapprocher à nouveau de la mère de mademoiselle B… pour obtenir un rein de sa part. Aux dernières nouvelles, elle aurait, cette fois-ci, refusé…

-           #Démon-avatar 4 : le démon aux visages de tous ceux qui ont posé une main malsaine sur mademoiselle B.

Un quatrième démon peuple le sac psychique de mademoiselle B. et tel un avatar, cette divinité Hindoue aux mille visages, #Démon 4 prend une forme syncrétique et adopte alternativement le visage de plusieurs funestes individus qui ont en commun d’avoir attenté à son intégrité physique et sexuelle. Le nombre d’apparences de ce démon-avatar est encore mal connu, et peut demeurer évolutif. Je tâcherai en tout cas de tout faire pour qu’il ne porte jamais le visage d’Isaac…

Je découvris au détour d’une conversation l’existence du mari de la sœur du beau-père de mademoiselle B. (je crois que c’est bien cela), répugnant personnage pédophiloïde, qui avait la main baladeuse et qui prenait un malin plaisir à contraindre des jeunes filles (dont les siennes, semble-t-il) à dévoiler leurs poils pubiens pour sonder leur puberté. Mademoiselle B. eut le malheur de croiser la route de ce funeste personnage.

Beaucoup de familles ont en leur sein, qui un oncle un peu dégueulasse, qui un beau-père tripoteur, qui un grand-père voyeur, qui un ami des parents avec qui il vaut mieux ne pas se trouver seul. Cela a longtemps fait partie d’une forme de folklore socio-familial, sujet tabou au même titre que les générations de prêtres pédophiles qui peuplaient l’imaginaire populaire en dépit du non-dit social généralisé qui les a longtemps préservés. Tous ces prédateurs sexuels passent pas nécessairement à l’acte le plus répréhensible pénalement, autrement dit le viol ; ils ne franchissent certes pas la ligne rouge de la pédophilie mais se cantonnent à en franchir la ligne jaune (tout aussi grave et traumatisante) : celle de l’atteinte à l’intégrité physique d’enfants au travers d’attouchements, de gestes déplacés, autrement dit d’objectification de leur corps à un moment de la vie où le respect de l’intimité sexuelle est cruciale dans le développement de l’enfant et de l’adolescent. Lorsque mademoiselle B. m’a parlé de ce gros dégueulasse évidemment pédophile, je ne pus m’empêcher de penser qu’une nouvelle fois, la vigilance familiale et la protection des enfants était assez défaillante dans sa famille… Je lui fis part de mon dégoût et de la nécessité de mettre au grand jour, même longtemps après les faits, les agissements répugnants de cet homme qui semble vivre tranquillement, adoré, qui plus est, par ses filles. A quoi bon remuer le passé, me demanda-t-elle ? Pour quel résultat ? Et n’avait-elle pas d’autres démons prioritaires à chasser avant de s’attaquer à celui-ci. C’est vrai et je dois admettre qu’il est facile pour moi de m’offusquer depuis mon promontoire.

Toujours est-il que des milliers de pédophiles échappent de la sorte à toute peine et, pis, à toute confrontation morale à leurs actes. Dans les faits, seules 10% des victimes d’abus sexuels, attouchements ou viol (à 87% des filles), portent plainte, permettant de laisser impunis des actes abominables pourtant commis dans l’immense majorité des cas par des proches ou des membres de l’entourage des victimes.

Pour ce qui est de mademoiselle B., le plus troublant réside dans le fait qu’elle a fréquenté plusieurs hommes qui ont cru, eux-aussi que son corps leur appartenait. J’ai ainsi découvert l’existence de ce « MB » sous la plume bloguesque de mademoiselle B ; une relation amoureuse post-adolescente à sens unique qui s’est traduite, selon ses dires, par un viol en bonne et due forme. Un homme que son plus vieil ami et confident souhaiterait « suspendre d’un hélicoptère par les couilles ». Lorsque j’ai évoqué avec mademoiselle B. ce personnage, elle m’a opposé une fin de non-recevoir et m’a fait savoir qu’elle ne souhaitait nullement en parler avec moi. Je respecte totalement sa prescription et son besoin d’intimité. Toutefois, je lui ai dit que l’évocation de ces expériences douloureuses devraient trouver, un jour la voie de la verbalisation, a minima devant sa psy, d’autant qu’elle a ressenti le besoin de l’évoquer dans son blog, laissant supposer une cicatrice encore à vif. C’est pour moi, l’unique voie possible vers la résilience. Cela dit, qui suis-je pour juger ? Ce n’est pas moi qui me suis fait toucher les couilles par un parent dégueulasse.

Mais plusieurs questions me taraudent : combien d’autres hommes ont, derrière « MB » osé porter une main malsaine sur mademoiselle B. ? Pour quelle raison s’est-elle laissée si souvent submerger par l’amour au point de ne pas avoir su ou pu ériger des barrières protectrices entre les hommes et son espace psychique ? Quelle représentation de la gent masculine mademoiselle B. a-t-elle bien pu construire dans son inconscient après de telles expériences ? Et comment se protéger pour éviter que de tels scénarios ne se reproduisent plus jamais ? Ce n’est pas à moi que mademoiselle B. doit apporter des réponses à ces questions, mais à elle-seule.

Enfin une dernière question me taraude à titre plus personnel : dans quelle mesure ne sommeillerait-il pas en chaque homme cette dimension machiste et dominatrice, cette inclination masculine, tirant ses fondements de 5000 ans de patriarcat, à considérer le corps des femmes comme un terrain de jeu qui leur appartient. Et plus dérangeant encore : combien de femmes acceptent consciemment ou inconsciemment de se soumettre au désir des hommes et à la réification de leur corps dans un monde pétri de domination masculine, devenant les victimes complices d’un schéma d’infériorisation entre les sexes ?

          #Méta-démon 5 : la mère

Il n’est pas possible de terminer cette galerie de portraits démoniaques sans évoquer la seule figure féminine qui le peuple. Il ne s’agit pas à proprement parler d’un démon mais davantage d’une entité spectrale dont la présence permet à tous les démons de rester dans le sac. D’un côté, elle assure une fonction protectrice en faisant obstruction devant l’entrée du sac ; elle régule de la sorte les entrées et sorties fréquentes des démons et tente de les retenir autant que faire se peut. D’un autre côté, le sac n’existerait pas sans elle ; en réalité, la toile de jute du sac à démons c’est elle.

Ce #méta-démon n°5, celui qui surplombe tous les autres, c’est la mère de mademoiselle B. Femme aimante, courageuse et dévouée, elle entretient aujourd’hui avec mademoiselle B. une relation apaisée et n’excluant pas une certaine complicité. La mère de mademoiselle B. a fait ce qu’elle a pu pour élever au mieux mademoiselle B., en dépit d’une situation sociale assez précaire, et sa vie de boulots  d’aide à la personne essentiellement exercés de nuit. Figure classique du travailleur pauvre, soumise à la pénibilité de boulots mal payés et usants, la mère de mademoiselle B. a souhaité offrir à sa fille un cadre de vie sécurisant. Après avoir laissé son premier mari vivre pleinement sa vie d’homme gay, elle se retrouve avec un enfant non-désiré à élever. Son second mariage (avec #Démon 2) lui offrait enfin la possibilité de stabiliser sa vie et d’offrir à sa fille un horizon matériellement plus dégagé. Elle s’éloigne du béton de sa cité de banlieue et se voue corps et âmes au business de son mari tout en conservant parallèlement son activité salariée de nuit. Elle inscrit mademoiselle B. dans une école privée catholique. Bref, elle assume la fonction sacrificielle de la mère qui souhaite le meilleur pour son enfant.

Cependant, pendant toutes ces années elle n’ait rien vu, rien entendu, rien supposé de l’existence-même des démons qui rôdaient autour de sa fille. Elle n’a rien deviné du manège mortifère se son frère à qui elle avait offert sa moelle osseuse. Elle n’a pas su qu’un beau-frère avait la main baladeuse et n’hésitait pas à explorer les parties intimes de son enfant. Elle n’a pas perçu les signes de détresse de mademoiselle B., son changement d’attitude, son mutisme, ses angoisses réprimées et les scarifications qu’elle s’infligeait pourtant assez facilement décelables.

Lorsque son mari deviendra menaçant envers mademoiselle B., elle prendra certes sa défense et subira le courroux de son mari, se laissera humilier par lui mais elle tardera à prendre la seule décision qui s’imposait : s’enfuir et protéger sa fille de cet homme qui allait se révéler violent. Difficile de partir quand on est tenu par les contraintes matérielles. C’est malheureusement le lot de nombreuses femmes battues qui endurent les coups de leur mari faute d’endroit où aller. En outre, il ne faut pas exagérer : la mère de mademoiselle B. n’a jamais eu à subir les coups de son mari, ou peut-être une fois ou deux, ou elle ne s’en souvient plus…

La situation devenant intenable, elle liquide ses maigres économies pour permettre à mademoiselle B. de partir étudier à plus de 300 kilomètres de là et quitter cet endroit hostile qu’était devenu leur foyer ; réflexe de protection salutaire, mais qui allait plonger sa fille sans une vie chaotique d’étudiante sans le sou, obligée d’interrompre ses études au bout de deux ans. Néanmoins, Mademoiselle B. éprouvera une reconnaissance éternelle envers sa mère pour son geste quasi-sacrificiel. J’ai eu beau nuancer la portée de son acte en précisant que c’est une obligation légale et morale que les parents ont de subvenir aux besoins essentiels de leurs enfants, mademoiselle B. considère qu’elle a une dette inaliénable envers sa mère. Et elle souhaite en conséquence la préserver de toute évocation douloureuse du passé.

Ce n’est que lorsque le mari violent commencera à s’en prendre physiquement à leur fils en bas âge que la mère décidera de quitter le foyer. Finalement le départ était possible. Certes le prix de la liberté était élevé mais l’instinct de protection maternelle était en jeu. Dommage qu’il ait si peu permis de protéger mademoiselle B. pendant toutes ces années.

La mère de mademoiselle B. a fait ce qu’elle a pu avec les moyens dont elle disposait. Nul n’est parfait et au final, elle est parvenue à se libérer du joug malsain de la domination conjugale. Elle a tenté de protéger sa fille, certes trop tardivement mais elle lui a offert, sans point douter, l’amour d’une mère. Je n’ai aucun jugement moral à porter sur cette femme courageuse et aimante. Néanmoins, il semble évident que mademoiselle B. ne pourra pas faire l’économie d’affronter un jour les absences, pour ne pas dire la cécité de sa mère qui l’a empêché d’exercer la fonction protectrice qui lui incombait.

Boris Cyrulnik nous fait remarquer que « l’on devient adulte le jour où l’on n’a plus de dettes envers ses parents ». Le jour où mademoiselle B. aura trouvé les armes pour terrasser un a un tous les démons du sac, il lui restera à s’attaquer à son enveloppe fait de tissu rêche, déchirer en lambeau ce contenant afin de faire disparaître la trace des démons qu’il contenait. Ce jour-là elle effacera définitivement la dette qu’elle a envers sa mère et elle pourra dès lors la regarder d’un air détaché et réellement complice sans avoir peur de la peiner ou de lui infliger des souffrances trop difficiles à endurer. Ni être obligée de réprimer la pensée coupable que sa mère a peut-être été (un peu) défaillante.

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