Le contrepoint d'Isaac : chronique d’une impossibilité amoureuse (Acte II)

date_range 17 Février 2020 folder Isaac et mademoiselle B.

Acte 2 : Mensonge, introspection et parentalité

Mon aventure avec mademoiselle B. s’était installée depuis quelques semaines dans une sorte de routine exquise qui contrastait avec le climat de guerre froide qui régnait dans mon couple depuis mon ultimatum adressé à Victoria. Je continuais à rentrer le week-end malgré tout mais une sorte de drôle de guerre psychologique s’était installée. Victoria tentait tant bien que mal de faire front et espérait intimement que je cesserais d’évoquer les sujets douloureux. Quant à moi, j’étais obsédé par mon besoin de crever l’abcès et attendais chaque prétexte pour lancer une nouvelle offensive. Deux week-ends se passaient ainsi sans trop de heurts mais je dois avouer que je ne faisais guère d’efforts pour apparaître sous un jour agréable d’autant que l’incursion de mademoiselle B. dans ma vie attisait ma frustration à l’endroit de Victoria. Et je terminais généralement le week-end en rédigeant un long sms passionné à mademoiselle B. dans le salon tandis que Victoria essayait tant bien que mal de trouver le sommeil.

Mademoiselle B. était assez inquiète par mon manque de discrétion en présence de Victoria et elle suggérait que nous arrêtions de nous écrire les week-ends afin d’éviter de livrer des indices de notre relation. Il faut dire que l’ensemble des preuves accablantes de notre relation extra-conjugale étaient aisément accessibles à Victoria, il lui suffisait d’ouvrir mon téléphone pour découvrir l’ampleur de mon mensonge. Mais Victoria - et c’est l’une de ses immenses qualités - a toujours eu un respect quasi religieux pour mon intimité et en douze ans de vie commune, elle n’a jamais ouvert un seul courrier qui m’était adressé ni fouillé dans mon téléphone. Il faut dire que la nature même de notre couple, scindé en deux temps alternatifs -celui du célibat et celui du couple- nous obligeait à accepter implicitement l’existence d’une zone d’ombre dans nos vies de célibat géographique. Parallèlement, cela nous obligeait à avoir une confiance totale dans l’autre, du moins dans la sincérité de nos sentiments respectifs, et d’expurger notre vie de couple de toute manifestation de jalousie ou de suspicion mutuelle. Le principe fondamental de notre relation avec Victoria reposait sur une sorte de pacte tacite : tout ce que nous ne savions pas de la vie de l’autre n’existait pas.

Le lecteur pourrait y voir une justification de mon propre mensonge. Je crois sincèrement qu’il n’en est rien. Je crois même aujourd’hui, sans pouvoir le prouver ni chercher à le savoir, que Victoria a toujours su que j’entretenais une relation avec une autre femme. Je lui donnerai d’ailleurs quelques semaines plus tard des indices suffisamment univoques à ce sujet mais sans toutefois lui faire d’aveu. J’ai en outre toujours pensé que les femmes étaient de véritables chiens truffiers pour ce qui est de déceler la culpabilité et les errements moraux masculins. Et Victoria m’a tant de fois estomaquée par sa sensibilité quasi-surnaturelle qui lui avait permis, notamment, de visualiser la maladie de sa sœur plusieurs années avant que les symptômes ne se déclarent ou encore de trouver les cinq numéros du quinté + lors d’une soirée spirite quand elle était adolescente. Je raconterai peut-être un jour ces anecdotes qui ont ébranlé mon rationalisme pourtant viscéral. Toujours est-il que Victoria avait toutes les cartes en main pour me confondre, cela me semble évident.

Pour en revenir au mensonge, j’ai toujours pensé qu’il pouvait participer de l’hygiène du couple dès lors qu’il ne vise nullement à masquer son manque de respect et son amour pour la personne avec laquelle on vit. Adolescent, j’eus une passion quasi-filiale pour Jean-Jacques Goldman et je ressentis une épiphanie en écoutant les textes de sa chanson Ne lui dis pas :

On n’avoue rien si l’on est innocent

Les mots sont vains, les mystères indulgents

La pénombre éclaire

Du silence au mensonge

C’est l’espace des songes

 

Cette chanson m’a longtemps habité, d’autant que ma mère en approuvait le contenu à l’aune de sa propre expérience amoureuse. Goldman y fait une sorte d’apologie du mensonge dans le couple destiné non pas à abuser ou à humilier son conjoint mais au contraire à le préserver des passions tristes que la réalité crue d’une relation extra-conjugale dévoilée ne manquerait pas de faire naître. Au risque de faire voler en éclat l’amour sincère qui unit deux individus malgré les crises de la passion amoureuse qui le traversent presque irrémédiablement. La seule question qui doit présider au mensonge est donc uniquement sa finalité. S’agit-il de profiter de la situation et de manger à tous les râteliers ou, au contraire, s’agit-il de préserver son couple et son amour pour l’autre sans la faire souffrir inutilement dès lors qu’une relation illégitime est en jeu. En effet, l’exclusivité sexuelle au sein du couple est une prescription morale teintée de considérations dogmatiques qui achoppe sur la réalité crue de l’évolution intime d’un couple surtout après de nombreuses années de vie commune. 

J’en faisais dramatiquement l’expérience. Même au plus fort de ma crise de couple avec Victoria, je n’ai jamais douté un seul instant que je l’aimais et d’un amour nettement plus fort et complexe qu’aux débuts de notre relation. Je n’ai jamais douté de mon amour pour elle même si l’hypothèse d’une rupture devenait pour la première fois palpable. Je n’ai jamais douté non plus de l’amour que Victoria me témoignait au travers de toute une quantité de choses et de détails qui dénotaient son attachement intime et fort à ma personne. Mais notre sexualité était un désastre et surtout les mots pour le dire ne sont jamais venus dans la bouche de Victoria malgré des années d’attente de ma part. Et j’étais las de cette vie pendulaire qui avait transformé notre couple en une relation uniquement conjuguée au présent, jamais au futur.

Pour la première fois de ma vie, j’en étais venu à éprouver ma sexualité avec une autre femme et j’en ressentais une puissance sensorielle inouïe. Devais-je m’en sentir coupable ? Je rappellerais au passage que je n’avais rien demandé au départ et je n’avais pas prévu que le traquenard de mademoiselle B. ne réveillât en moi un sentiment amoureux aussi puissant à son endroit. Devais-je pour autant en arriver à la conclusion que je n’aimais plus Victoria ? Je ne pouvais pas m’y résoudre, bien au contraire. Si tel avait été le cas, j’aurais assumé le mensonge dans un état de totale ataraxie : cette tromperie n’aurait été en définitive que le prélude à une mise à mort de mon couple devenue inéluctable. 

En revanche, je devais me rendre à l’évidence de ce dilemme cruel : je tombais inéluctablement amoureux de mademoiselle B. et j’aimais profondément Victoria. Hypothèse polyamoureuse que j’avais pourtant toujours considérée comme illusoire à moins qu’elle ne procède d’un choix éclairé et partagé d’emblée par les deux conjoints. Et encore, dans les faits, j’ai toujours pensé qu’il y en avait toujours un plus polyamoureux que l’autre.

N’allez pas vous figurer que le mensonge sur lequel j’avais habillé ma relation avec mademoiselle B. était facile à porter moralement. Je n’ai jamais aimé mentir pour plusieurs raisons évidentes. Le mensonge exige de la suite dans les idées, un aplomb, des stratagèmes épuisants pour que la vérité n’éclate jamais au grand jour. En effet, les personnes à qui l’on ment ont cette fâcheuse tendance à vous en tenir rigueur et à vous le faire violemment savoir dès lors qu'elles découvrent le pot-aux-roses. Mais surtout le mensonge n’est rien d’autre que l’aveu de sa propre insuffisance, celle d’une vie dont la réalité objective ne serait pas assez flatteuse pour l’assumer dans sa vérité nue. J’ai en outre toujours œuvré avec ardeur pour que ma parole soit considérée et appréciée à sa juste valeur et cela implique un rapport extrêmement intime à la vérité ou, du moins à l’honnêteté de l’énonciation des choses. Supposer que je me complaise dans le mensonge, comme me le suggérera un jour mademoiselle B. est donc inexact. Je déteste le mensonge et je suis un piètre menteur avec mon visage à livre ouvert mais j’admets qu’il s’agit parfois d’un mal nécessaire. Et je n’en tire aucune fierté.

La vérité me brûlait les lèvres et j’ai envisagé sérieusement et à plusieurs reprises de cracher le morceau à Victoria. Mais une question beaucoup plus importante me retenait : souhaitais-je, oui ou non, sauver mon couple et, dans l’affirmative, cet aveu ne risquait-il pas de rendre cette entreprise impossible ? Et cette question en ouvrait d’autres : quand bien même Victoria aurait su en son for intérieur que je fréquentais une autre femme, ce mensonge n’était-il pas paradoxalement le voile pudique sur lequel nous faisions tenir symboliquement notre engagement et notre fidélité mutuelle ? A l’inverse, lui faire l’aveu de ma relation avec mademoiselle B. n’aurait-il pas signifié que j’assumais une infidélité qui aurait pris corps du fait même de son dévoilement ?

La phénoménologie développée par la philosophie allemande ne nous enseigne-elle pas en substance qu’un phénomène n’existe qu’à partir du moment où l’on prend conscience de son existence ? J’admets ne pas être assez calé en philosophie pour être capable de tenir la contradiction face à cette énonciation de philosophie vulgaire. Toutefois je peux assurer qu’à l’inverse je ne souhaiterais nullement que Victoria m’avoue un jour avoir (eu) un amant. J’en ai toujours admis l’éventualité, cela fait partie du jeu, son corps lui appartient, je n’ai aucun droit dessus et je ne peux maîtriser ses désirs intimes. Et si cela devait être le cas, cela mettrait au moins autant en lumière mes propres insuffisances de conjoint ou d’amant. A quoi bon m’infliger par ailleurs la cruauté d’une vérité crue.

En outre, un autre dilemme me tiraillait. Etais-je sûr d’être d’aimer suffisamment mademoiselle B. pour envisager de mettre fin à une relation de de 12 ans, partir à l’aventure avec une femme que je fréquentais depuis quelques semaines et que je ne connaissais, pour ainsi dire, pas ? Et que savais-je à l’inverse de son amour pour moi. Rien en réalité. Sortir du mensonge aurait eu la conséquence vraisemblable de signer brutalement la fin de ma relation avec Victoria sans que l’éventualité d’une vie de couple avec mademoiselle B. ne repose sur quelconque réalité concrète. Et l’hypothèse de me retrouver à nouveau célibataire au seuil de la quarantaine m’enthousiasmait, disons, assez moyennement. J’avais énormément à perdre, et l’idée de perdre sur les deux tableaux me hantait.

J’avais cependant un besoin impérieux de parler, d’évoquer ma situation et l’existence de ma relation avec mademoiselle B. Je me suis confié à quelques amis proches et fiables, dont certains avaient eu à vivre la même expérience de crise conjugale associée à celle de la quarantaine. J’ai évoqué ma situation avec mon plus vieil ami, #le_Djé, lui-même frappé par la foudre de la quarantaine et la fin récente de son couple vieux de 24 ans qui battait de l’aile depuis au moins 23 ans et demi sous la férule d’une femme égocentrique, directive et infantilisante qui lui avait fait deux enfants gentiment sociopathes qui grandissaient dans le béton du 19ème arrondissement. Lui aussi vivait depuis quelques mois une seconde naissance amoureuse avec une artiste plus jeune que lui et il m’a bien sûr rassuré sur mon cas en me précisant que j’étais dans la merde. Il a en outre une petite névrose obsessionnelle autour de l’hygiène et il na pas pu s’empêcher de me donner une leçon de prophylaxie sexuelle, concluant sur la nécessité impérieuse que je fasse toute la batterie de tests MST. Cela dit, j’ai apprécié notre moment d’échange et je me promettais d’aller lui rendre visite à Paris rapidement.

Enfin, je n’ai pas pu cacher bien longtemps la situation aux musiciens de mon groupe de jazz yiddish dont le batteur connaissait par ailleurs assez bien mademoiselle B., cette dernière ayant tenté par le passé, en vain, de le draguer. Là, clairement je prenais des risques car mes relations avec ledit batteur n’étaient pas au beau fixe et il avait par ailleurs la fâcheuse tendance à avoir la langue bien pendue. Mais aucun d’eux ne fréquentait Victoria. Et il existe un code d’honneur dans le monde des musiciens, du moins le pensais-je.

Je me suis également livré auprès de membres de l’association nationale à laquelle j’appartiens et qui occupe une place importante dans ma vie. Et dont certains camarades sont devenus de véritables frères pour moi. Ils m’ont mis en garde sur le terrible engrenage de l’attachement amoureux qui comportait de réels dangers de souffrance pour mademoiselle B. (et pour moi), de même que sur la nécessité de ne rien dire à Victoria si je tenais à elle. Des conseils, des mises en garde mais surtout des témoignages de sympathie dénués de jugement moral.

Un soir d’octobre je me trouvais en leur présence pour un week-end militant à Paris. A l’issue de la réunion qui se tenait le samedi, assez décourageante au demeurant sur l’état pitoyable des forces militantes de gauche de notre pays, j’avais prévu de passer la soirée avec mes camarades révolutionnaires de salon et de rester dormir chez l’un d’entre eux pour profiter d’une soirée alternant consommation alcoolique, débats philosophiques houleux et stratégies pour prendre le Palais d’hiver (je plaisante, nous sommes en réalité d’inoffensifs intellectuels de gauche embourgeoisés harnachés au respect des institutions républicaines et portant la laïcité chevillée au corps). Par acquis de conscience je m’éclipse juste avant le repas et je passe un coup de téléphone à Victoria pour lui dire que je reviendrai le lendemain en début d’après-midi. La teneur de la discussion fut assez lunaire. Je vous la livre en substance :

Issac : « Coucou, je reste dormir à Paris mais je rentrerai demain en début d’après-midi. 

Victoria : Je pensais que tu pourrais rentrer chez toi demain moi car j’ai besoin de faire un break d’introspection.

Isaac : Merci de me prévenir la veille de notre semaine de vacances ! Qu’est-ce que cela signifie ?

Victoria : Que tu m’as fixé un ultimatum qui arrive à échéance dans 2 mois et que j’ai besoin de faire le point. Toi tu as besoin de parler pour résoudre les problèmes, moi je ne fonctionne pas comme ça, tu le sais. J’ai besoin de réfléchir sur ma vie, sur notre couple, sur tout ce que tu m’as dit. J’ai appelé mon amie Clara pour parler avec elle, elle viendra quelques jours la semaine prochaine pour qu’on puisse parler. Si tu es là je ne pourrai pas lui parler.

Isaac : C’est certes un peu brutal mais je respecte ton choix. L’idée n’est pas mauvaise en soi. Cela dit toutes mes affaires personnelles sont à la maison, il faudra bien que je vienne les chercher.

Victoria : Tu n’auras qu’à venir les chercher demain et tu pourras repartir après.

Isaac : Ok. C’est censé durer combien de temps cette introspection ?

Victoria : Je pensais à tout le mois d’octobre et on pourra se retrouver pour le week-end du 11 novembre qu’on a prévu de passer avec Maria, j’y tiens beaucoup »

Note d’Isaac pour le lecteur : Maria est sûrement ma meilleure amie et elle adore Victoria. Maria avait organisé depuis des mois un week-end dans un chalet à la montagne pour des retrouvailles amicales entre trois couples d’amis.

Fin de la conversation ou presque (en réalité nous tiendrons encore quelques minutes sur le sujet, elle m’assure qu’il s’agit bien d’un break introspectif et non s’un rupture, et je lui répète que j’approuve sa démarche si elle peut enfin trouver des solutions et un début de verbalisation. Mais qu’elle comprendra que je puisse trouver le procédé un peu violent)

Je rentrerai donc le lendemain chez nous (enfin plutôt chez Victoria) et je récupérerai mes affaires. Les échanges entre nous seront courtois et empreints d’affection retenue. Nous nous donnerons rendez-vous dans un mois pour ce week-end entre amis. Je lui redirai que j’apprécie sa démarche même si elle me fait peur. Et je repartirai une heure plus tard.

Sur le retour Je m’arrêterai chez ma mère, cette femme formidable qui m’a élevé seule et avec laquelle je forme un crew en béton armé depuis l’enfance. Comme à chaque fois qu’un événement important se produit dans ma vie, c’est à elle que je me confie car j’aime son regard lucide et sans complaisance sur la (ma) vie. Elle m’écoute et me suggère en toute honnêteté que tout cela sent le sapin. Elle aime beaucoup Victoria mais le courant n’est jamais passé totalement entre elles deux. Elle ne la comprend toujours pas malgré toute l'affection qu'elle lui porte. Je suis totalement pris de cours par les propos de ma mère qui estime qu’une vie de couple sans passion amoureuse n’a pas d’issue favorable et que ma relation avec Victoria ne peut tenir sur une base dénuée de sexualité et de passion partagée et entretenue. Totalement surprenant dans la bouche cette femme qui a construit sa vie en l’expurgeant de toute sentimentalité déraisonnée, qui s’est construite dans un féminisme radical mais totalement empirique et qui est convaincue par le fait que les hommes ne sont nullement dignes de franchir le seuil de sa porte à l’exception notable de son fils. Je ne lui parlerai pas encore de mademoiselle B. mais elle comprendra immédiatement, je l’ai vu dans ses yeux. Quand je lui parlerai d’elle quelques semaines plus tard, elle n’affectera même pas un geste de surprise. Et elle se prendra, à ma plus grande surprise, d’une sympathie touchante pour mademoiselle B., cette jeune femme qu’elle ne connaît pas mais qui la renvoie à ses propres expériences intimes de femme de l’ombre d’hommes mariés.

Me voici donc plongé dans un abîme de perplexité et d’appréhension. Mais je me sens surtout pris d’un immense sentiment de vertige. Celui de la redécouverte d’une vie de célibataire… Je me vois renvoyé 12 ans en arrière. Je dispose d’une liberté totale de mes actes, de mon temps libre. Enfin pas tout à fait, car il y a évidemment mademoiselle B. dans l’histoire. Je pense immédiatement que ces quelques semaines d’introspection vont me permettre de lui consacrer davantage de temps et surtout de sonder notre capacité à passer à la vitesse supérieure dans notre relation. Triste ironie de l’histoire. Je venais à peine de recouvrer ma liberté de célibataire que je replongeais tête baissé dans l’aliénation de la vie de couple. Erreur fatale mais je ne pouvais pas le savoir à ce stade.

J’écris un long Sms à mademoiselle B. et lui relate la situation. Je lui dis que ces quelques semaines nous permettront, si elle le souhaite, de nous voir le week-end, faire des choses ensemble et de passer du temps sans la contrainte du réveil mais je lui précise bien, pour éviter tout emballement, que je ne peux lui faire d’autres promesses. Il semblerait que mon annonce a provoqué chez mademoiselle B. l’effet d’une bombe. Une bombe dont les fragments ne me retomberont sur la tronche que plusieurs semaines plus tard.

Elle me répond dans un long Sms. Tout d’abord qu’elle est de tout cœur avec moi et qu’elle peut jouer le rôle de confidente si je le souhaite. Je suis abasourdi. Ma maîtresse me propose d’être ma confidente pour me consoler de mon chagrin lié à ma crise de couple avec ma régulière ! Moi qui culpabilise depuis le début de notre relation de lui infliger le rôle de maîtresse et c’est elle qui propose de me consoler ! Je ne crois vraiment pas que ce soit une bonne idée mais je suis touché par un tel témoignage d’empathie. Et j’admets que je n’ai pas eu le discernement nécessaire pour me rendre compte de l’énormité de ce qu’elle me disait. J’aurais dû envoyer valser sa proposition d’être mon oreille complice. Nous le paierons cher par la suite, d’autant que je m’engouffrerai bel et bien dans cette brèche malsaine.

Cela dit, elle répond avec enthousiasme à ma proposition de passer plus de temps avec moi et de partager des moments de vie à deux avec moi. La suite des événements fut un enchaînement de bonheur à l’état pur, rendu d’autant plus magique que nous avions l’intime conviction du caractère profondément éphémère de la situation. Il fallait en profiter sans compter jusqu’à la fin de la période d’introspection victorienne qui approchait à grands pas.

Ces 5 semaines de break (plus que je ne l’avais envisagé au départ) furent une parenthèse enchantée dans mon aventure avec mademoiselle B. Qui restera gravée à jamais dans ma mémoire. Jamais nous ne vivrons à nouveau un tel moment de pur bonheur dans notre relation, nous le savons aujourd’hui, elle et moi. Nous avons passé beaucoup de temps ensemble, avons discuté d’une quantité de chose (et malheureusement aussi de Victoria) et avons entrepris une épopée randonnesque aussi piteuse que joyeuse. Et quand nous n’étions pas ensemble on s’écrivait des messages interminables, érotiques et enflammés.

Et surtout nous avons fait l’amour comme jamais cela ne m’était arrivé dans ma vie. J’annoncerai d’ailleurs à mon ami #le_Djé avoir découvert le point G., ce saint Graal du plaisir féminin, après avoir vécu une expérience assez flippante mais très excitante de femme fontaine. Je dois préciser que #le_Djé m’avait dit quelques jours plus tôt qu’il était en quête du point G avec sa nouvelle nana, visiblement insatiable côté sexe. Je lui ai simplement dit que « certains le cherchent, d’autres le trouvent ». Pas très fin, ni très humble de ma part mais assez drôle quand même. Il me répondra : « Arrête de la péter et va changer tes draps car c’est dégueulasse » (eh oui, toujours ce satané rapport névrotique à l’hygiène corporelle). Cela dit, j’avoue que c’est un pur hasard et une telle situation ne s’est jamais reproduite depuis avec mademoiselle B. Pour cette dernière, la découverte des facultés incroyables de son corps la plongera néanmoins dans un désarroi profond.

Mais cette période fut également marquée par ma présence aux côtés de mademoiselle B. à l’un de carrefours de son existence. J’ai aussi eu le privilège immense d’accompagner mademoiselle B. dans l’une de ses épreuves essentielles de sa vie : le passage de son concours administratif. Je lui ai donné quelques conseils visiblement avisés. Il faut dire que je suis passé par cette épreuve 15 ans plus tôt lorsque je préparais un concours de niveau ENA : 40 places au concours externe pour 1040 candidats et je l’ai eu. Son concours de catégorie B ne m’effraye pas outre mesure mais je ne minimise à aucun moment l’événement, d’autant qu’elle l’a manqué 2 fois déjà. Je lui donne des conseils, des articles à lire, je lui ferai part de ma solide expérience de management d’équipes, et lui donnerai enfin un bisou magique de ma fabrication la veille de son oral. Succédané de pensée magique dont je connais l’efficacité redoutable. Quelques semaines plus tard, c’est sans réelle surprise - car je sentais qu’elle était prête et qu’elle avait vaincu quelques démons d’autodénigrement - mais avec une joie immense que je l’entendrai au téléphone m’annoncer la bonne nouvelle : elle l’a réussi ce foutu concours !

Durant cette parenthèse enchantée, nous nous sommes vus, beaucoup : quatre, cinq fois par semaine. Nous faisons l’amour insatiablement, de manière étourdissante et à chaque fois réinventée. Je découvre des zones de plaisir inconnues, expérimente, me tiens à l'affût des réactions corporelles de mademoiselle B et des manifestations de mon propre corps. Nous vivons une période étourdissante et puissament érotique. Pourtant je ne perçois pas immédiatement que la situation fait naître paradoxalement un sentiment d’inquiétude, encore à l’état latent, mais qui ne cessera de croître par la suite, dans l’esprit mademoiselle B. Elle commence à s’attacher à moi et à éprouver des sentiments amoureux dont la puissance la plonge dans un état de plénitude mâtiné d’angoisse. La fin de la période d’introspection se profilait à grands pas et signifierait la fin probable de notre parenthèse enchantée.

En outre, nos discussions au sujet de Victoria, qu’elle avait pourtant spontanément permises, l’ébranlèrent sans que je m’en rendisse compte. Le spectre de Victoria commençait à la hanter et elle éprouvait au surplus un véritable malaise face à mon mensonge. Situation paradoxale où mademoiselle B. semblait éprouver une forme de compassion ou peut-être simplement de la solidarité féminine à l’endroit de sa rivale. Il faut dire que mademoiselle B. entretient un rapport extrêmement conflictuel au mensonge. Elle en a souffert par le passé et vit le mensonge, quel qu’il soit, comme une trahison, une tromperie impardonnable. Elle envisage la vie dans un idéal de transparence et d’honnêteté mutuelle. Ce sujet reviendra avec force sur la table lorsqu’elle découvrira que je lisais son blog depuis des semaines. A ce stade la question du blog n’est pas encore en jeu, j’ignorais son existence. En revanche, mademoiselle B. semblait ressentir un sentiment vague de culpabilité d’être à l’origine, voire la complice, de mon mensonge vis-à-vis d’une femme sur laquelle elle projetait sûrement ses propres ressentis.

Une autre discussion contribuera à assombrir l’horizon de notre relation avec mademoiselle B. : les enfants. J’ai toujours clamé haut et fort que je ne souhaitais pas avoir d’enfants et que ce point n’était pas négociable. Pour plusieurs raisons liées tout autant à ma vision pessimiste du sens de l’humanité - je juge qu’il est simplement criminel de mettre au monde des enfants dans un monde qui court manifestement à sa perte écologique, sociale et politique et qui les rendra malheureux - qu’à mon refus viscéral de décentrer ma vie de son objectif essentiel, celui d’accomplir mon œuvre. En effet, je n’ai jamais eu la moindre envie de d’aliéner mon temps et mon existence à une progéniture qui m’imposerait de changer radicalement de vie, de mettre entre parenthèse mes projets et mon temps personnel que je juge extrêmement précieux. Plus prosaïquement, la perspective du pouponnage suscite chez moi un sentiment de dégoût : la merde, même offerte en présent par la chair de ma chair, resterait de la merde. Et je suis totalement agacé par le pathétique spectacle éducatif que m’infligent la plupart de mes amis qui placent leurs enfants au cœur de leur existence, m’affligeant du spectacle désolant d’une éducation dite bienveillante, qui n’est rien d’autre que la douce félicité de la tyrannie de l’enfant roi mis sous cloche pour ne surtout pas lui montrer la réalité parfois brutale et cruelle du monde et de la vie. Et qu’ils finiront bien par découvrir sans y avoir été préparés.

Cela ne signifie pas pour autant que je n’envisage pas la parentalité, mais sous une autre forme, sociale et spirituelle, sur le modèle de ce que certains hommes que j’ai rencontrés dans ma vie d’enfant et de jeune adulte ont pu m’apporter ontologiquement et avec lesquels j’ai noué une relation filiale. Nous avons même envisagé, avec Victoria, de recourir à l’adoption pour donner une chance à un enfant déjà-là et qui n’a rien demandé pour vivre ici-bas. Dans ce cas, la parentalité aurait rimé avec un choix, un engagement, un don de soi à un être en demande d’amour. Rien à voir avec un coup de foutre inconséquent qui se serait traduit par l’arrivée d’un braillard 9 mois plus tard, ou encore à la fiction biologisante de la parentalité qui supposerait que seul un enfant sorti du ventre d’une mère serait véritablement son enfant ou, pire, qu’un mélange de gamètes transformerait comme par enchantement un géniteur en parent. Pour moi, la biologie n'a rien à voir avec la parentalité, ceci est ma conviction profonde.

Ce refus de la paternité (et non de la parentalité donc) fut l’un des ciments de notre imaginaire commun avec Victoria et, partant, de notre couple. Victoria de son côté n’a jamais souhaité avoir d’enfants, pour des raisons un peu différentes : elle entretient un rapport complexe à son corps et elle ne supporte pas l’idée qu’un être de 3 kilogrammes ou plus ne traumatise à vie son ventre et son sexe. Elle partage également mon regard extrêmement désabusé sur l’évolution du monde et partage mon angoisse de mettre au monde des enfants dans un désert écologique et biologique, sans âme et sans saisons, dévasté par un capitalisme triomphalement suicidaire qui broie les humains et l’écosystème. Par ailleurs, elle estime tout comme moi que la conception d’un enfant procède avant tout d’un égoïsme parental qui n’envisage que trop rarement l’intérêt premier de l’enfant : elle a été confrontée aux insuffisances parentales de sa mère, femme enfant immature, obsédée par le prince charmant incarné par la figure idéalisée d’un mari, beau et séduisant, qui l’a quittée pour une femme plus jeune (et sûrement moins cruche qu’elle) il y a trente ans. La sœur de Victoria, Am., fera d’ailleurs le choix de s’expatrier dans les îles pour échapper au spectacle désolant d’une mère inconséquente et obsédée par ses rêves de jeune fille ; Am., en phase terminale après 2 ans de chimiothérapie, refusera de voir sa mère, tant celle-ci était incapable de gérer ses propres angoisses et de témoigner à sa fille mourante l’amour entier et inconditionnel qu’elle était en droit d’attendre de sa mère à l'orée de sa mort. 

Ma vision de la paternité laissait mademoiselle B. interdite. Elle entendait mes arguments mais pour elle la question était tranchée de manière claire, nette et sans bavure. Elle souhaitait être mère point à la ligne : elle souhaitait vivre la félicité de la grossesse et mettre au monde un enfant à qui elle pourrait (là c’est moi qui interprète) offrir la sécurité affective et matérielle dont elle avait été privée à titre personnel. Elle n’avait cure de mes alarmes eschatologiques et de ma vision apocalyptique de l’évolution de l’humanité dont j’étais intimement convaincu depuis le visionnage de Soleil vert lorsque j’avais 8 ans. Mademoiselle B. m’affirmait subir chaque jour les injonctions de son horloge biologique et aucun discours rationnel ne la dissuaderait de penser que c’était son destin de devenir mère.

Dans mon esprit, cette discussion me confrontait de manière abrupte à l’impossibilité de construire une vie à deux avec mademoiselle B. Mon intransigeance vis-à-vis des enfants ne signifiait en aucun cas que je ne respectasse de manière sincère son souhait d’en avoir. Son corps et ses aspirations de femme ne m’appartiendront jamais, cela était évident, et je pense qu’aucun homme ne peut exiger d’une femme qu’elle renonce à son désir de maternité. Incapable de ne pas me projeter sur le long terme avec une femme pour laquelle j’ai des sentiments, je ne pouvais m'empêcher de visualiser la scène du déchirement inéluctable qu’aurait engendré, dans quelques années, la question de faire ou non des enfants avec mademoiselle B. dans l’hypothèse où je choisirais de refaire ma vie avec elle. Cela ne faisait pourtant que quelques semaines que nous nous fréquentions et il pourrait sembler très hâtif de penser à cela à ce stade de notre relation. Mais c’était impossible de faire autrement. D’autant que mademoiselle B. manifestait un tel besoin d’engagement dans son rapport à l’amour et au couple que je commençais à comprendre que je ne pourrais pas lui faire endosser longtemps un rôle secondaire dans ma vie. Certes, je me disais qu’il fallait laisser un peu de temps au temps et qu’il ne fallait rien précipiter entre nous. Elle semblait d’accord avec cela mais dès que nous évoquions la question du couple et de l’engagement mutuel, nos visions respectives se heurtaient à un mur d’incompréhension. Je lui lâchai un jour :

« Tu sais comment tout cela va finir. Tu te lasseras de moi et de ma lâcheté qui m’empêchera de quitter Victoria et tu finiras par me quitter lorsque tu rencontras cet homme en qui tu verras le père de tes enfants. Vous aurez une vie un peu monotone, sexuellement décevante mais il te donnera un voire deux enfants. Tu finiras par le quitter. Et nous nous retrouverons par hasard dans 10 ans, peut-être à l’occasion de ce festival que tu aimes tant, et nous ne pourrons pas nous empêcher de nous retrouver »

Je lui laissai entendre que cette seconde tentative serait la bonne, et que ses enfants deviendraient un peu les miens à un âge où il me semblera moins pénible de les élever. Il me semble que mademoiselle B. n’a pas entendu ou pas voulu entendre cette allusion. Mais je crois l’avoir émise de manière sincère. C’était en effet la seule perspective au long cours qui puisse me sembler réaliste. Mademoiselle B. parut en tout cas surprise par une telle évocation de long terme qui achoppait sur son rapport immédiat et urgent à l’amour.

Sur ces entrefaites, la fin de l’introspection de Victoria arriva. Je rentrai avec un peu d’appréhension dans notre domicile commun pour connaître les résultats de son dialogue intérieur et surtout les pistes de résolution qu’elle avait trouvées pour sortir de l’ornière. Je vous avouerais que le résultat fut terriblement décevant et m’a mis en rage. Victoria est tendue, sa voix est chevrotante mais elle se lance.

Elle commence par me dire qu’elle a parlé avec son amie Clara (qui est lesbienne et vit en couple depuis des années avec une femme qu’elle aime). Clara lui aurait dit qu’il n’y avait rien de plus normal que la passion sexuelle s’estompe avec le temps au sein d’un couple et que nous réagissons tous différemment sur ce point.

Moi dans ma tête : « Soit… »

Victoria poursuit en disant que Clara ne trouve pas normal que ce soit moi, Isaac, qui assume la totalité des contraintes de la vie pendulaire.  Victoria semble donc prendre conscience qu’il est anormal de n’avoir jamais fait l’effort de partager les trajets hebdomadaires et elle semble admettre que je m’use la santé à faire des centaines de kilomètres par semaine pour la retrouver depuis 10 ans. Elle semble comprendre que je me sente étranger partout où je vis et que je puisse ne pas me sentir chez moi dans notre prétendu domicile commun.

Moi dans ma tête : « Enfin ! »

Victoria enchaîne enfin sur les mêmes arguments émis depuis des années. Je lui fais trop de « commentaires » sur son rituel de vie, je lui communique mon stress et mes angoisses, elle a le sentiment que je juge ses amis (qu’elle n’a pas au demeurant, ça, c’est moi qui ajoute). Et pour finir, cerise sur le gâteau, elle me brandit une liste sur laquelle elle a écrit les bons et mauvais côtés de ma personnalité. Lecture :

-          Du côté des bons points : intégrité, grande intelligence, sensibilité artistique et ouverture sur le monde, je crois en elle et la stimule

-          Du côté des mauvais points : jugeant, manque d’empathie, mes commentaires sur ses choix de vie la blessent et lui font perdre ses moyens

Moi dans ma tête : « On touche le fond»

A ce moment, j’explose. 12 ans de vie commune pour en arriver à une liste de bons et mauvais points, c’est dégradant. Je lui fais alors une déclaration passionnée mais franchement énervée.

En substance : cela fait 10 ans que j’attends des réponses sur son absence de désir pour moi, 10 ans que je me masturbe devant des vidéos pornos faute de mieux, 10 ans que j’attends un début de commencement de verbalisation sur les raisons de la négation de mon corps, 10 ans que je lui fais l’amour comme on le ferait à une poupée gonflable. 10 ans que je patiente pour qu’enfin elle fasse tomber le masque et accepte seulement d’évoquer le sujet de notre sexualité. 10 ans que j’attends par ailleurs qu’elle accepte de se faire aider pour sortir de son état léthargique et de sa dépression blanche pour envisager un cadre de vie commun, des projets de vie à deux qui sortent de notre vie pendulaire. Et qu’elle retrouve goût à la vie en dehors de son foutu hôpital qui lui bouffe toute son énergie.

Victoria est dans les cordes, j’enchaîne :

Je lui assène que je l’aime comme je n’ai jamais aimé une autre femme, mais je ne peux pas continuer ainsi.

Victoria est au sol, proche du KO technique. Elle fond en larme et s’écrie alors :

« Je sais que tu m’aimes et je sais que je ne suis pas à la hauteur de ton amour »

Ce cri désespéré me fait immédiatement arrêter mon offensive.

Je reprends plus calmement et lui dis sur un ton rassurant :

« Demain on retrouve Maria et nos amis pour ce long week-end prévu de longue date et nous devons nous changer l’esprit. A la fin de notre séjour, je entrerai chez moi et je cesserai de revenir systématiquement à la maison le week-end. Je ne reviendrai que si et si tu souhaites qu’on se voie et pour passer du bon temps avec toi. En revanche je vais assumer plus ouvertement d’avoir plusieurs vies cloisonnées.

-          qu’est ce que cela veut dire ? me demande-t-elle.

Je suis à deux doigts de tout lui avouer sur ma relation avec mademoiselle B. et sur la puissance des sensations amoureuses que j’éprouve depuis des semaines. Je m’arrête net et lui réponds laconiquement :

-          que je ne peux pas faire une croix sur ma vie d’homme et que tu ne peux pas m’empêcher d’avoir une sexualité.

Victoria opine du chef et prononce un petit "oui" à peine intelligible. Fin de la conversation ou presque. Victoria venait d’accepter l’idée que je puisse avoir une relation en dehors de notre couple.

Comme annoncé, nous sommes partis dans ce chalet à la montagne pour retrouver nos amis pour ce week-end du 11 novembre. Le week-end entre amis fut presque normal et très agréable. On retrouve avec Victoria, le temps d’un week-end, notre vieille complicité qui fascine tant notre entourage. Nous dansons, discutons et nous couchons à l’aube. Sans bien sûr nous toucher. Sur la route de retour, je me dis tout du long que je dois lui annoncer que je fréquente une autre femme mais je n’y parviens pas. Je rentrerai le soir directement chez moi après lui avoir dit que je ne reviendrai la voir que si elle le souhaite et pas systématiquement, en toute hypothèse uniquement pour prendre du bon temps avec elle. Elle approuve, on s’embrasse dans un nuage de mélancolie.

Finalement je retrouve mademoiselle B. le soir même et lui fais part du résultat de l’introspection. Mademoiselle B. l’attendait avec anxiété car elle commençait à se figurer que la fin de cette période serait sûrement synonyme de rupture. Soit avec Victoria, soit avec elle. Finalement ce ne sera ni l’une ni l’autre. Peut-être la pire des solutions.

Mademoiselle B. semble presque déçue d’autant que je me sens obligé de lui rappeler toute l’estime que je continue de porter à Victoria et que celle-ci reste ma compagne. Je finis par lui dire la chose suivante :

« J’ai annoncé à Victoria que je ne rentrerais plus forcément tous les week-ends. Du coup, je souhaiterais que dans notre ville nous arrêtions de nous cacher. Je souhaite te consacrer du temps et te on pourra continuer à passer des week-ends ensemble. Victoria a admis à demi-mot que je puisse avoir besoin d’une vie sexuelle. Tout cela pour te dire que je souhaite davantage profiter de toi et de la vie que j’ai ici »

Mademoiselle B. semble abasourdie mais elle n’en dira pas un mot. Elle ne comprend définitivement pas ce qui peut bien retenir Isaac à Victoria. Comment est-il possible qu'Isaac puisse envisager une vie sans passion amoureuse avec une femme qui nie son corps et ses besoins charnels, se demande-t-elle. Et Isaac commence à comprendre intérieurement que la compassion de mademoiselle B. à l’égard de Victoria n’était qu’une illusion. Mademoiselle B. s’est éprise d’Isaac et cet attachement a fait naître en elle un sentiment de jalousie et d’inquiétude qu’elle ne peut réfréner. Isaac venait d’obtenir d’offrir à mademoiselle B. un répit, une prolongation de leur aventure amoureuse, il pensait avoir fait au mieux mais ce n’était pas ce que mademoiselle B. attendait ; elle espérait au fond d’elle qu’Isaac fasse un choix, un choix radical et héroïque. Mais Isaac n’est pas un héros mais simplement un homme pris en tenaille entre deux femmes qu’il aime différemment mais sincèrement. Faire un choix entre ces deux femmes est une torture.

Les deux amants vont désormais entrer dans le troisième acte de leur triste comédie amoureuse : celui des espérances désenchantées et de la fin de l’insouciance. Mais pour l’heure l’urgence est ailleurs : Isaac et mademoiselle B. doivent faire l’amour sans penser au lendemain. Car des nuages noirs pointent au-dessus de leurs têtes et vont obscurcir l’horizon.

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