Le contrepoint d'Isaac : chronique d’une impossibilité amoureuse (Acte I)

date_range 08 Février 2020 folder Isaac et mademoiselle B.

Acte Premier : traquenard, crises et passion

Je m’appelle Isaac, du moins c’est ainsi que mademoiselle B. me nomme. Mademoiselle B. ? Une femme qui accompagne ma vie depuis plusieurs mois. Allons droit au but, mademoiselle B. est ma maîtresse, autrement dit l’autre femme, la non-officielle, celle avec laquelle je ne partirai pas en vacances et que je ne présenterai pas à ma famille.

J’ai fait la rencontre de mademoiselle B. par le biais d’amis communs que je fréquente dans la ville où je travaille, éloignée de 150 km de mon domicile conjugal que je partage avec Victoria, ma compagne avec laquelle je vis depuis 12 ans. Une soirée d’été, je suis tombé dans un traquenard organisé par mademoiselle B. et par un couple d’amis communs : Sylvain et #Copine 1. Leur objectif : que je finisse dans le lit de mademoiselle B. en dépit de mon statut d’homme « marié » et affichant son amour incommensurable pour sa femme.

La fine équipe a fomenté ce projet moralement discutable : m’inviter à manger chez mademoiselle B. et faire en sorte que je sois contraint, pour raisons d’alcoolémie, de rester dormir chez elle et, de préférence, dans son lit, éventuellement attaché aux barreaux de son plumard. J’avais néanmoins pressenti la finalité cachée de l’invitation quelques jours avant de me rendre chez mademoiselle B. et avais acheté des capotes. Il faut dire que cela faisait des mois que Sylvain nous travaillait au corps, mademoiselle B. et moi, pour que nous tombions amoureux. Son génie inné pour la suggestion sexuelle théâtralisée (c’est son métier et sa mission de vie) a agi comme par magie ; les injonctions de Sylvain se sont transformées en prophétie autoréalisatrice.

Mon ami Sylvain est une sorte d’artiste maudit et touche-à-tout, faux-looser narcissique assez génial dans son style, intermittent du spectacle et de l’amour, obsédé par le sexe et les femmes. C’est le conjoint « officiel » mais partagé de #Copine 1, la meilleure amie de mademoiselle B., son âme sœur. J’avais rencontré mademoiselle B. quelques mois auparavant par leur intermédiaire. Notre première rencontre, dans un bar de la ville où je travaille, fut assez fraiche. Sylvain donnait un concert et s’est, comme à son habitude, passablement alcoolisé, ce qui a eu le don d’exaspérer #Copine 1. Après avoir fait la conversation pour trois, mademoiselle B. et #Copine 1 faisant preuve d’assez peu d’affabilité à mon endroit, et après avoir offert la bouteille de Beaujolais nouveau pour les faire rester un peu plus longtemps, les filles sont parties sans dire au revoir ou presque. Quelques minutes plus tôt, mademoiselle B. m’avait tapoté sur le front en s’écriant : « Tu es quand même un intellectuel, toi ! ». Bizarre entrée en matière, même si j’assume pleinement mon statut d’intellectuel. Nous nous sommes toutefois revus à plusieurs reprises, en soirée, et nous avons appris à nous apprivoiser. J’ai commencé à apprécier la fille et je crois que c’était réciproque. Mais je restais à distance pour ne pas tomber dans un jeu dangereux, même si je dois admettre que j’avais été à deux doigts d’inviter mademoiselle B. à monter chez moi un soir de printemps après une soirée œnologique particulièrement agréable.

J’ai donc été la victime consentante d’un traquenard quelques mois plus tard et j’ai fini dans le lit de mademoiselle B. après une soirée très arrosée, non sans avoir (mollement) tenté de résister moralement à l’opportunité. Cas d’école freudien, mon « surmoi » légendaire, passablement amoindri par l’alcool, a été terrassé par le « ça » boosté à la testostérone sécrétée par l’hypothèse d’une nuit de sexe extraconjugal.

Nous avons fait l’amour toute la nuit et j’ai perdu tout contrôle de la situation… Je dois reconnaître que je manquais profondément d’entraînement. Ma vie sexuelle avec Victoria était un désastre depuis plusieurs années déjà et notre sexualité se résumait à une relation hebdomadaire du dimanche soir, suffisamment tôt dans la soirée pour qu’elle ne rate en aucun cas son cycle de sommeil, et selon un protocole systématique : elle se met sur le ventre, je luis masse le dos, je descends avec ma bouche sur son sexe et son cul généreux, et pénétration en levrette après avoir fait assez durer les préliminaires avec ma langue. A aucun moment, Victoria ne s’aventure à explorer mon corps et mes zones de plaisir et elle arbore une passivité quasi-interrompue durant le coït. Je me souviens que Victoria m’a sucé pour la dernière fois en 2011 et j’attends désespérément le jour où elle souhaiterait m’offrir à nouveau ce délicieux présent. Qui n’est jamais venu. Bien sûr, j’ai tenté de parler avec Victoria. Mille fois. Depuis plusieurs années, je tentais de mettre des mots sur les maux. En vain, je n’ai jamais réussi qu’à obtenir des larmes. Jamais de réponses mais davantage de barrières érigées entre son corps et le mien. Et je doute d’être parvenu à la faire jouir une seule fois dans notre relation intime.

Vous comprendrez donc aisément qu’une nuit d’amour avec une fille décomplexée, généreuse et un brin lubrique m’a fait chavirer. Il faut dire que Mademoiselle B. n’a pas ménagé ses efforts et a joué le grand jeu : elle a exploré sensuellement mon corps, m’a pris en bouche avec un fougue irrésistible, a exprimé avec vigueur son plaisir et son excitation malgré ma piètre endurance. Autrement dit, j’ai redécouvert ce que faire l’amour signifiait. Mademoiselle B. m’a simplement rappelé à quel point les sensations charnelles pouvaient être une source de plaisir intense, vital, presque mystique même. Moi qui ai toujours entretenu un rapport suspect avec la sexualité, ce besoin animal qui active les mêmes zones de plaisir du cerveau que les psychotropes, activateur de passions vulgaires qui n’a rien à voir avec l’amour sublimé et spirituel. Evidemment, je me mentais à moi-même.

J’ai été hanté par cette nuit mais je n’ai pas souhaité immédiatement revoir mademoiselle B. Non, cette nuit extraconjugale me plongeait en plein désarroi existentiel et j’étais pétri de culpabilité et d’angoisses. Que venais-je de faire ? Je venais tout simplement de tromper Victoria. Victoria, cette femme sublime avec laquelle j’avais traversé 12 ans de ma vie sans douter une seule seconde que ce serait la femme de ma vie. Victoria et son visage d’ange de fausse chinoise, ses courbes entêtantes extraordinairement féminines. Victoria, mon poney sauvage, jalouse de son indépendance mais incroyablement altruiste, cette Jane Goodall contrariée, dont l’idéal de vie façonné dans ses rêves d’enfance consisterait à vivre en ermite entourée d’une colonie de singes. Victoria, cette guérisseuse de l’âme et du corps, mais qui n’a rien pu faire contre la mort de sa sœur, terrassée à 35 ans par un cancer. Victoria, qui m’a accompagné avec amour et fierté dans tous les aspects les plus importants de ma vie, artistiques et intellectuels, celle à qui j’ai dédié mon ouvrage et à qui j’ai donné le titre de l'une de mes plus belles compositions musicales… Mais aussi, Victoria, cette femme épuisée nerveusement par son métier de cadre sup’ hospitalier, amoindrie par ses problèmes de sommeil, sans cesse perturbée par son hyper-sensibilité sensorielle quasi-surnaturelle, et qui ne ressent pas ou plus de désir charnel pour moi…

Que signifiait cette nuit de sexe avec mademoiselle B. ? Une sortie de route témoignant de ma dimension bassement humaine, mais pas de quoi remettre en question mon couple et l’amour profond qui en était le ciment ? Ou au contraire, le révélateur subit d’une crise latente dans vie conjugale qui n’attendait qu’une étincelle pour mettre la lumière sur notre relation dysfonctionnelle ? Il me fallait trouver des réponses à cette question.

Je suis rentré comme d’habitude le week-end suivant pour retrouver Victoria. Mais il n’était plus question de faire comme avant. Jusqu’à présent, les discussions que j’amenais autour de notre sexualité et plus généralement de nos projets communs se soldaient par une manifestation d’agacement, éventuellement de cris accompagnés de larmes intarissables de sa part et puis… en l’absence de réponses, j’abandonnais de guerre lasse, un peu penaud, en me disant que finalement tout cela n’était pas si grave et que son absence de désir n’était sûrement que la conséquence de sa fatigue nerveuse liée à son travail qui lui accapare la majeure partie de son temps de cerveau disponible, de son traitement hormonal contre l’endométriose ou encore le fruit de notre célibat géographique qui durait depuis plus de 10 ans et faisait reposer structurellement notre vie de couple sur les retrouvailles de week-ends et les vacances.

En outre, la baisse de désir ne serait-elle pas simplement l’évolution logique d’une vie de couple après 12 ans de vie commune ? Et ma part de responsabilité dans le domaine ? Je m’étais résolu à l’idée que j’étais un piètre amant et pis, que je n’étais plus depuis longtemps à ma place d’homme dans notre couple. J’avoue m’être peu à peu enferré dans une routine de couple assez débilitante et infantilisante, Victoria assurant l’essentiel des tâches ménagères et son végétarisme constituait un prétexte tout trouvé pour mettre systématiquement les pieds sous la table après m’être adonné à mes nobles activités intellectuelles pendant qu’elle confectionnait un plat improbable à base de tofu et de légumes en tout genre, non sans qu’elle m’ait au préalable appelé 3 ou 4 fois pour venir manger. Il faut dire, à ma décharge, que vivre 5 jours par semaine en célibataire et assumer seul les contraintes de la vie pendulaire ne m’incitaient pas à envisager avec enthousiasme les contraintes de la vie domestique pendant nos deux jours de vie commune hebdomadaire. Cela n’est toutefois pas une excuse.

Mais cette nuit avec mademoiselle B. avait réveillé en moi l’homme et l’amant qui s’étaient oubliés depuis trop longtemps. Cette fois-ci je ne lâcherais pas le morceau et j’étais bien décidé à acculer Victoria jusqu’à ce qu’elle prenne conscience de ma souffrance. Je l’ai donc harcelée en lui faisant comprendre qu’elle ne pourrait pas cette fois esquiver les questions.

Sur notre sexualité tout d’abord. Pourquoi cette absence de désir ? A-t-elle déjà eu un orgasme, une seule fois, avec moi ? Ressent-elle du dégoût pour mon corps pour l’esquiver à ce point et ne jamais envisager qu’il puisse être une zone de plaisir ? Ressent-elle du désir pour d’autres hommes ? Se masturbe-t-elle quand je ne suis pas là ? Envisage-t-elle que je puisse fréquenter d’autres femmes et qu’en tout état de cause, je ne pourrais faire éternellement une croix sur ma vie sexuelle ?

Sur notre cadre de vie commun ensuite. A-t-elle conscience que j’assume depuis 10 ans la quasi-totalité des contraintes liées à notre vie pendulaire et que c’est moi qui ai avalé depuis toutes ces années les milliers de kilomètres parcourus pour nos retrouvailles hebdomadaires ? D’ailleurs, lorsque j'avais un pied-à-terre à Paris, n’était-ce pas un formidable moyen de vivre les bonheurs de la vie parisienne ? Or, elle n'en a jamais profité. Que je ne me sentais pour ma part chez moi nulle part et singulièrement dans notre domicile prétendument commun qu’elle avait organisé à sa guise ? Qu’à l’approche de la quarantaine et malgré une situation matérielle plus que confortable je vivais toujours comme un étudiant dans un meublé sans âme au confort spartiate ? Et puis, quel projet de vie construisons-nous ? Vivre éternellement comme deux célibataires qui se retrouvent le week-end et sans projections de long terme ?

Et sur elle pour finir. A-t-elle conscience que son quotidien harassant à l’hôpital est devenu son seul sujet de conversation, dont l’évocation est la seule chose qui illumine ses yeux malgré les souffrances professionnelles qu’elle y vit ? Et comment se perçoit-elle dans 10 ans ? Devenir une quinquagénaire carbonisée par des journées de 12 heures de boulot auxquelles elle aura offert sa jeunesse et son énergie vitale, ce serait donc ça son idéal de vie ?  Elle, l’artiste à l’âme sublimement créative qui n’était plus que l’ombre d’elle-même, harnachée dans un quotidien de plus en plus ritualisé où il n’y avait plus de place pour ses puissants dérivatifs qui faisaient par le passé le sel de notre passion commune pour la vie ? Qu'elle a fait le vide autour d'elle et qu'elle n'a plus qu'une seule vraie amie (Clara) qu'elle ne voyait, pour ainsi dire, jamais ?

Ma stratégie de harcèlement n’a pas immédiatement provoqué chez Victoria la prise de conscience salutaire que je souhaitais. Ella a été ébranlée mais ne s’est pas livrée. Je n’attendais pourtant qu’une seule chose : qu’elle me dise que j’occupais une place importante dans sa vie et qu’elle tenait à notre couple. Et qu’elle acceptait l’idée qu’elle (on) avait besoin de se (nous) faire aider pour retrouver goût à la vie. Un sexologue, un psy, son amie Clara, son père qu’elle aime tant, peu importe. Il fallait qu’elle parvienne à verbaliser ses maux, ses blocages et qu’elle prenne conscience de son état dépressif. Une vie sans passions joyeuses n’est pas une vie, voilà tout. Elle m’aurait simplement dit cela ou même simplement admis ce diagnostic et il nous devenait dès lors possible de trouver une issue à cette crise. Cela aurait pris du temps et aurait supposé beaucoup de remises en question mais j’étais prêt à en assumer le coût personnel. Et il n’aurait plus été question de fréquenter une autre femme. J’aurais tenté d’expier ma faute morale que constituait cette nuit de sexe extraconjugal et probablement que j’aurais fini par la remiser au rang des expériences intimes inavouables, bien planquée dans le placard des souvenirs agréablement honteux. Et j’aurais accompagné Victoria dans sa tentative de reconstruction et initié pour ma part mon aggiornamento.

J’ai donc remis le couvert à chaque week-end et ce, pendant près d’un mois. Toujours avec les mêmes questions, toujours plus insistant. En face de moi, des sanglots et des larmes, quelques bribes de phrases rabâchées mille fois me laissant supposer qu’il fallait qu’on retrouve « le chemin de la séduction ». Bref, la verbalisation est poussive, une timide prise de conscience de son état et de la toxicité de sa vie professionnelle, mais un refus catégorique de se faire aider autrement que par ses séances de sophrologie ou de Xi gong. Elle admet tout de même qu’elle ne me désirait plus mais qu’elle avait beaucoup d’estime et d’admiration pour moi mais qu’elle ne supportait plus mes reproches sur ses habitudes et ses états d’âme. Et qu’elle comprenait que je ne pouvais pas faire une croix sur ma vie sexuelle mais qu’elle n’avait aucune explication à me fournir à propos de son absence de désir… C’était déjà ça mais j’étais évidemment très loin du compte. Je finis par lui formuler cet ultimatum :

« Dans trois mois j’ai quarante ans. Je te laisse ces trois mois pour m’offrir le seul cadeau d’anniversaire que je souhaite : que tu prennes conscience que notre vie de couple ne peut plus durer ainsi et que tu entames la démarche personnelle pour me signifier que tu tiens à moi. Je souhaite des réponses à mes questions, et que tu mettes enfin des mots sur tes problèmes, nos problèmes. Pas que tu les résolves, cela prendra du temps et je suis prêt à patienter, mais des réponses et des solutions pour parvenir à sauver notre couple. »

Dans ce contexte, je me sentais donc libre, pour ne pas dire obsédé, de revoir mademoiselle B. Il faut dire qu’elle n’avait plus quitté mon esprit depuis cette nuit suave concluant le traquenard dans lequel j’avais joué le rôle de victime béate. Je l’ai invitée chez moi 10 jours après notre première nuit passée ensemble. Elle a accepté. J’étais nerveux, emprunté, encore torturé par des pensées contradictoires qui oscillaient entre désir pour elle et honte de la situation. Je lui ai préparé un repas végétarien avec les moyens du bord, ouvert une bouteille de vin et nous avons parlé, beaucoup parlé. D’une quantité de choses. Certes Victoria était très présente. Je ne pouvais pas faire comme si elle n’existait pas et que je ne tenais pas à mon couple. Et j’ai embrassé mademoiselle B. en toute fin de soirée, au moment même où elle s’apprêtait à rentrer chez elle, estimant qu’il s’agissait d’un diner d’adieu. La suite des événements a été décrite avec une telle passion, un tel lyrisme et une plume si dévorante par mademoiselle B. que je préfère renvoyer le lecteur à sa propre évocation intime de cette nuit. Disons simplement que ce fut réellement notre première nuit d’amour. Rien à voir avec le brouillon précédent et mes épanchements incontrôlés de jeune puceau redécouvrant la sexualité.

Le lendemain matin, nous nous sommes levés dans un état second, quasi-hypnotique. Je partais en déplacement professionnel. Nous avons déjeuné ensemble, j’ai enfilé mon costard et nous nous sommes quittés devant mon immeuble :

« J’ai passé une nuit assez délicieuse »

Doux euphémisme pour dire que nous n’avons pas fermé l’œil de la nuit et que j’ai vécu ce soir-là une épiphanie charnelle et sensorielle qui restera gravée à jamais dans ma mémoire.

Nous nous sommes revus de la même manière pendant plusieurs semaines, de préférence les mardis. Et le même déroulement. Un repas préparé par mes soins, quelques verres de vin, nous nous engouffrons dans une kyrielle de discussions inachevées sur une quantité de sujets, convergeant immanquablement sur nos conceptions respectives du couple et de l’amour, et un désir irrépressible nous submerge. Nous nous embrassons longuement, nous nous caressons, nous nous déshabillons lentement en prenant soin de parsemer mon appartement de tous nos oripeaux - elle galère à déboutonner ma chemise, tandis que je tente, souvent sans succès, de retirer son soutien-gorge d’une seule main - et nous rendons langoureusement dans ma chambre. Une fois je tente un exploit physique particulièrement périlleux. La porter à bouts de bras jusque dans mon lit. Précisions que je fais 57 kg et qu’elle doit en faire 4 de moins. Mais je suis parvenu, non sans mal, à bout de cette épreuve. Nous faisons à chaque fois l’amour 3, 4 fois jusque tard dans la nuit. Notre sexualité prend un chemin inattendu, passionnel, et enivrant. Et chaque fois réinventé. Et le lendemain, nous nous réveillons (presque) frais et dispos, pour aller travailler. On se promet de se revoir rapidement.

Au fil d’un téléphone arabe finalement relayé par mon ami Sylvain, l’amant-conjoint par intermittence de #Copine 1, l’âme sœur de mademoiselle B., je découvre, interloqué, que je suis un très bon amant, un des meilleurs que mademoiselle B. ait rencontré. Une plaisanterie ou une flatterie ? Non, semblerait-il. Comment ai-je pu passer à côté de cette dimension essentielle de mon être, moi qui n’ai manifestement jamais fait jouir une seule fois Victoria ? En réalité je me rends compte que faire l’amour implique simplement d’être à deux. Pourtant, je n’ai rien fait d’extraordinaire : respecter son corps et l’explorer intégralement avec délicatesse, sans réfréner une certaine lubricité et quelques expérimentations érotiques, exprimer mon désir, écouter le sien et être généreux. Il faut dire que le corps de mademoiselle B. m’inspire follement. Ses petits seins délicats, son sexe suave, sa chute de reins vertigineuse... Pour le reste, c’est simplement une question d’alchimie sensorielle et d’excitation partagée. Il faut dire mademoiselle B. est une partenaire exceptionnelle. Elle envisage mon corps sans limites, s’attarde goulument sur mon sexe, fait monter mon plaisir et provoque un torrent de jouissance d’une intensité jamais ressentie dans ma vie d’homme.

Notre aventure prend parallèlement une dimension épistolaire aussi inattendue qu’enivrante. Nous nous écrivons des Sms fleuves, rédigés jusque tard dans la nuit, dans lesquels nous évoquons sans fausse pudeur nos sentiments, notre sexualité, nos fantasmes, mais également les doutes et les appréhensions que fait immanquablement surgir la puissance de ces moments enchanteurs. J’évoque pudiquement ma crise de couple, la crise existentielle que je traverse et, déjà, une certaine culpabilité de ma part d’infliger à mademoiselle B. le statut de maîtresse, précisant bien que je ne pouvais mettre fin à une relation de 12 ans avec Victoria d’un revers de main. Etonnamment, elle feint de ne pas trop y prêter attention et me proposera même, à ma plus grande surprise, de jouer le rôle de confidente. Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée. La suite des événements me donnera évidemment raison.

La lecture de ses messages m’excite souvent à tel point que je finis par me masturber en rêvant à ma prochaine nuit d’amour avec elle, échafaudant dans ma tête les scénarios de notre prochaine nuit d’amour, laissant au repos ma horde onirique d’esclaves sexuelles généralement convoquées lors de mes pratiques onanistes.

Lorsque nous nous retrouvons, nous évoquons également des choses plus prosaïques qui la concernent, en particulier son oral de concours administratif qui approche à grands pas. Elle galérait depuis 5 ans avec ce foutu concours qui lui avait déjà échappé deux fois. Cette fois, il devenait impérieux de le réussir. Pour obtenir une titularisation dans son poste, synonyme de stabilité professionnelle et se sécurité matérielle. Mais surtout question vitale d’estime de soi. Car je commence à découvrir une facette assez sombre de la personnalité de mademoiselle B. Elle a eu une trajectoire de vie chaotique marquée en premier lieu par une enfance assez traumatique. Un père absent et longtemps inconnu jusqu’à une rencontre décevante qui l’a laissée en attente d’une relation filiale par essence impossible, un beau-père décédé qui l’a élevée mais l’a foutue à la porte à sa majorité, une mère aimante mais soumise et insuffisamment protectrice. J’apprends surtout que des personnalités toxiques et perverses ont rôdé autour de l’enfant timide et introverti qu’était mademoiselle B. Ils ont durablement détruit son amour propre, son narcissisme primaire, autrement dit cet amour de soi indispensable pour être capable d’aimer et d’être aimé en retour. Je suis révolté.

Dans son récit, sa vie sentimentale a été source d’innombrables désillusions. Le sort aurait affligé mademoiselle B. d’hommes instables, lâches, profiteurs ou égoïstes, parfois tout cela à la fois, et incapables d’assumer leur amour (ou plutôt leur absence d’amour) pour elle. Et pourtant à chaque fois elle tombe dans le panneau. En dépit de sa prudence viscérale envers la gent masculine, elle finit par s’éprendre sans retenue au moment où elle entrevoit la possibilité d’une officialisation de leur relation, croit naïvement à leurs promesses sans valeur, envisage même de partir vivre à l’autre bout du monde pour un homme rencontré en vacances avant de s’apercevoir que tout cela n’était qu’illusion. Et de retomber invariablement en lambeaux sur le plancher des vaches. Sa dernière rupture en date l’a particulièrement ébranlée. Elle est tombée dans une dépression terrible, a eu des envies de meurtre, a rompu avec tout un réseau de relations. Elle a mis des mois à s’en remettre.

Je m’enflamme à plusieurs reprises en lui disant qu’elle est surtout tombée sur une floppée de tocards et qu’elle doit monter furieusement son niveau d’exigence envers les hommes. Tous les hommes sont des connards, tous, lui dis-je ! Certains le sont juste un peu moins que d’autres. J’espère sincèrement être de cette catégorie. Je lui dis que je suis sidéré par le fait qu’elle ait pu à se point se faire autant de mal avec des gars qui ne méritaient même pas un début d’attention de sa part. Et bien sûr qu’il est infiniment préférable d’être seule que mal accompagnée.

Mademoiselle B. entretient par ailleurs un rapport très paradoxal à la sexualité. Le sexe semble occuper une place centrale dans sa vie et elle n’envisage pas une vie sans une sexualité active et entière. Elle aime l’amour et en a à revendre : elle assume son corps, non sans quelques complexes notamment pileux, et aime le corps des hommes. De préférence musclés, barbus et tatoués, du moins dans son imaginaire érotique, pas forcément dans sa vie sexuelle. Elle se définit également comme bisexuelle et a eu quelques expériences saphiques plus ou moins abouties. Elle a à son actif des expériences singulières, assumées et raisonnablement transgressives : une soirée dans un club échangiste où elle n’a rien fait, quelques sexdates sans réel intérêt mais qui méritaient d’être vécues, un plan à trois très joyeux avec deux hommes très complices… Ces évocations sexuelles que je découvrirai en réalité dans le détail dans son blog m’intriguent et me plaisent beaucoup. J’ai toujours eu de la fascination pour les femmes assumant leur vie sexuelle. Militant féministe de la première heure (du moins en théorie), j’ai toujours estimé que la sexualité était le fondement du droit des femmes à disposer de leur corps et de leur plaisir. Sur ce point je suis en phase avec son affirmation du droit au plaisir féminin. J’espère juste qu’elle s’est bien protégée et qu’elle ne s’est pas mise en danger.

Toutefois, ce rapport libre et décomplexé à la sexualité achoppe frontalement sur l’autre facette, nettement plus classique, de sa représentation du couple. Elle clame son souhait de fonder un foyer, d’avoir des enfants, et surtout de vivre avec un homme qui la comprenne et la soutienne, pas nécessairement barbu, tatoué ou baraqué, ni forcément un amant talentueux mais avec lequel elle pourrait se sentir en confiance pour faire des projets de vie à deux. D’ailleurs son expérience de couple la plus longue, était pour ainsi dire asexuelle. Elle a duré quatre ans. Paradoxal vous dis-je …

Elle s’emporte avec passion quand je lui assène ma vision du couple après de nombreuses années de vie commune : le désir finit par s’étioler, la passion amoureuse s’émousse mais peut laisser place à quelque chose de plus grand : l’amour pour l’autre dans toute son idiosyncrasie, autrement dit pour sa personnalité singulière composée de la somme de ses qualités et de ses défauts. Le sexe n’est plus omniprésent dans un vieux couple, c’est triste mais c’est du moins ce que j’observe dans la totalité des couples ayant plus de 10 ans de vie commune parmi ceux que je fréquente dans mon entourage de quadragénaires. Je lui dis également que l’arrivée d’un enfant précipite en règle générale brutalement la chute de désir charnel au sein d’un couple. Outre le traumatisme pour leur corps, beaucoup de femmes cessent après leur accouchement d’être femmes pour se muer en mère, ou pire encore, en maman. C’est typiquement ce qui est arrivé à mon ami G., bellâtre sur le retour adulé par les midinettes jusqu’à la trentaine, qui n’entretient plus qu’une pâle relation conjugale avec celle qu’il nomme la mère de ses enfants. Sa crise de la quarantaine le renvoie à sa jeunesse perdue de Dom Juan de seconde zone. Elle est pathétique comme toutes les crises de la quarantaine. Et j’inclus évidemment la mienne dans le lot.

Foutaises ! me répond mademoiselle B. Elle y croit, elle, à l’amour avec un grand a. Elle est persuadée qu’elle saura trouver cet homme capable d’être à la fois l’amant, le mâle affectueux, et le père aimant de ses enfants. Sa description du conjoint idéal est d’ailleurs détaillée sur un petit post-it accroché à un meuble de sa chambre. Quand je le découvrirai par hasard quelques semaines plus tard, j’y verrai surtout une chimère assez flippante de l’idéal masculin. Je pense immédiatement au livre de Kaufmann : La femme seule et le Pince charmant. J’attendrai un peu avant de lui en parler. Je me dis surtout que je ne suis pas et ne serai jamais cet homme. Et que s’il existe, cet homme parfait, il faudrait l’exhiber dans un zoo humain dont l’entrée serait gratuite pour les femmes célibataires ayant pleuré en lisant le journal de Bridget Jones (n’y voyez aucun mépris de ma part pour le livre, cela dit).

Mais mademoiselle B. ne se démonte pas. Si elle ne parvient pas à le dénicher cet homme, ou s’il s’avérait, en effet, qu’il n’existe pas, elle en prendra son parti et demandera une seringue de sperme à un de ses amis homos. Elle sera alors une maman solo, fière et indépendante, mais il est hors de question qu’elle n’ait pas d’enfants. Son horloge biologique l’aiguillonne de jour en jour, elle n’y peut rien.

Je reviendrai en détail sur nos controverses au sujet des enfants, sujet hautement sensible qui a peut-être tout fait basculer dans notre relation.

Mais nous sommes encore dans le premier acte de cette triste comédie humaine. Celui de la passion dévorante de mademoiselle B. et d’Isaac, sur fond de crise de la quarantaine d’Isaac et de lourdes menaces qui pèsent sur son couple avec Victoria. L’acte fondateur où se pose sublimement le décor de l’insouciance des débuts de relations et de la découverte amoureuse. Insouciance, vraiment ? En réalité, un nuage de mélancolie flotte déjà au-dessus de leur épopée amoureuse.

 

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